COMPTE-RENDU – La fameuse entreprise de lutherie d’instruments à vent Henri Selmer Paris fête ses 140 ans en invitant 140 artistes, à la Fête de la musique puis en week-end au Cirque d’Hiver Bouglione de Paris.
Le public du Cirque d’Hiver est déjà et encore plongé dans un bleu lynchien, hypnotisé par l’étrangeté de l’ambiance lorsque commence le concert du Vendredi 27 juin 2025 : saxophones sur une estrade, voltigeuses dans les airs, cerceaux suspendus, sièges rouge sang… Bienvenue dans une version acoustique de Blue Velvet !
Le programme de ce soir réunissant musiques classique et du monde est aussi aussi dense qu’un buffet de mariage (et ce sera bis repetita le lendemain, version jazz). Dans ce grand écart du vendredi soir, le souffle est roi et les genres s’entrechoquent.
Un cirque d’horizons
On croise notamment Jean-Charles Richard et Pauline Bartissol, saxophone et violoncelle, dans une fugue de Bach qui ne manque ni d’élégance ni de finesse. Le baroque y perd un peu de son col amidonné pour épouser la courbe chaude des anches. Florent Schmitt et ses Dionysiaques ouvrent le bal avec panache ; Mozart, un peu plus tard, ramène tout le monde à la maison avec son Concerto pour clarinette, brillamment servi par Alessandro Carbonare, en grande forme et grande finesse.
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Plus tard, le quatuor Les DéSAXés nous régale d’un medley de musiques de films en mode clown érudit : extraits de blockbusters, reprises classiques, blagues de musiciens et sketch d’enregistrement en direct. Ça joue (très bien), ça dérape (exprès), ça amuse (vraiment).
Prends Garde à toi
Côté prestige républicain, on notera l’entrée fracassante de la Garde, en pas une mais deux formations : orchestre d’harmonie et orchestre symphonique, le tout en costumes impeccables, et avec un changement de plateau chronométré à 6 minutes !
Mais c’est sans doute le Spem in alium de Thomas Tallis qui décroche la palme du moment vertigineux : 40 musiciens, répartis en 8 groupes de 5, dissimulés dans la salle, qui vous encerclent doucement en vous murmurant du contrepoint Renaissance. Un grand huit immobile, mais sonore.
Klezmer, climax
Trois heures plus tard (avec entracte, heureusement), le Sirba Octet vient clôturer la soirée aux rythmes endiablés de l’Europe de l’Est, accompagné d’une brochette de vents stars : Philippe Berrod, Joë Christophe, Rémi Delangle, Nicolas Arsenijevic, David Krakauer (et le Quatuor Habanera en renfort). Le public tape du pied, applaudit à tout rompre, recommence. On est en klezmer-thérapie collective.
Verdict : 140 bougies et pas un gramme de poussière
Bien sûr, tout le monde n’est pas resté jusqu’au bout : les derniers trains, c’est sacré. Mais ceux qui ont tenu bon sortent ravis, hanches rassasiées, oreilles repues. Et certains y resteraient bien coucher pour être en avance au rendez-vous du lendemain.
Un concert-fleuve sans fléchissement, une farandole de becs et d’anches, un cirque musical qui assume ses écarts et ses exploits. Selmer n’a pas seulement fait son cirque : il a dressé un chapiteau pour tous les genres, tous les souffles, tous les publics. Ce soir-là, Selmer n’a pas soufflé ses bougies : il a mis le feu aux hanches.


