COMPTE-RENDU – L’Ensemble intercontemporain dirigé par Pierre Bleuse donne à la Cité de la Musique la création mondiale de la version scénique de « La Main gauche », opéra composé par Ramon Lazkano d’après le roman de Jean Echenoz, sur les souvenirs vagues de Ravel.
C’est méta ?

Est-ce que cet opéra a précisément voulu faire ressentir au public l’histoire qu’il narre ? C’est-à-dire cette plongée dans la confusion et l’oubli marquant les dernières années de Ravel (spoiler alert : jusqu’à ses derniers instants littéralement, l’opéra se concluant, finalement « net » sur l’image de Ravel sur le billard pour l’opération du cerveau qui mettra fin à ses jours).
Car les échos de la musique de Ravel ne font dans cette pièce que de fugaces apparitions, tardivement, brièvement, causant une immense frustration, une forme de dés-espoir littéralement : on meurt d’envie de prier les musiciens de jouer encore un peu plus de ses échos de valse, de ses harmonies d’une richesse mirifique, de ses rythmes obstinés et obsédants, de nous offrir encore un peu de sa musique, de son souvenir… Sans doute et précisément ce que ressentit alors Ravel lui-même, désespérant d’une maladie l’empêchant d’écrire tout en lui laissant assez de conscience pour mesurer son malheur, et dire « J’ai tant de musique dans la tête ».
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La Main gauche, larme à gauche
Est-ce pour illustrer ce « tant de musique » jusqu’au douloureux trop-plein, ou pour exorciser l’impossibilité de Ravel à composer alors, que Ramon Lazkano a offert une partition aussi dense ? Après un commencement qui s’inscrit pourtant adroitement et même joliment dans l’héritage de Ravel et de la composition française (Thierry Escaich notamment), le discours s’intensifie, changeant de phrasés en phrasés mais toujours dans des densités saisissantes. La densité est d’ailleurs telle que la pièce, malgré une durée annoncée d’1h40, dure finalement 1h10. L’endurance n’en est pas moins mise à rude l’épreuve y compris pour l’Ensemble intercontemporain et leur chef Pierre Bleuse, heureusement et toujours d’un investissement sans failles.
Pavane pour une mémoire défunte
Béatrice Lachaussée signe une mise en espace dans une scénographie de Mathieu Crescence, qui installe une scène (avec un deuxième piano à queue) derrière l’orchestre, et une petite estrade devant, servant de salon, taxi ou bloc opératoire. Celui-ci signe également costumes de ville et de soirée d’époque, ainsi que les vidéos suivant l’histoire avec des images des lieux de voyage et de vie de Ravel.

Le ténor Peter Tantsits doit incarner un compositeur étonnamment prolixe jusqu’au frénétique (pour avoir l’air d’autant plus neurasthénique ensuite), loin de l’image de Ravel, et avec une prononciation qui n’a rien à voix avec l’accent basque et fort peu avec la langue française en général. Heureusement, Marie-Laure Garnier est un modèle de phrasé et de lyrisme, même dans l’immense ambitus requis, tandis que le baryton Allen Boxer (qui lui aussi incarne différents personnages gravitant autour de Ravel), malmène les liaisons et l’aigu mais pose bien tout le reste.

En tous les cas, le public ne s’est pas levé du pied gauche et il acclame les artistes, au grand complet : Ramon Lazkano va chercher Jean Echenoz au fond de la salle pour qu’il vienne également recevoir sa part d’acclamation.

