HISTOIRE – À l’occasion des commémorations du bicentenaire de la mort de Napoléon, le 5 mai 1821, retour sur ce que fut la vie musicale au temps du Consulat et de l’Empire.
2 décembre 1804, Notre Dame de Paris. La cathédrale est le théâtre d’un événement majeur de l’histoire de France. Dans la lignée de Clovis et de Louis XIV, le consul Bonaparte, ancien général de brigade est sacré Empereur des Français. Lui qui veut faire de la religion chrétienne un pilier de l’Empire inscrit son couronnement dans la longue tradition des cérémonies passées, dont la musique est un ornement incontournable.
Une bénédiction par le pape en personne, au son d’une messe du Napolitain Giovanni Paisiello (1740-1816), invité à mettre son art au service du pouvoir français, comme Lully en son temps. Une œuvre qui témoigne de la volonté de se faire des alliés parmi les artistes de l’époque.
Dans les pas de Louis XIV
Car Bonaparte a retenu la leçon des monarques qui l’ont précédés : l’art est un haut-parleur formidable. Sa puissance symbolique, lorsqu’elle est au service d’une cause, pose un vernis qui la fait résister au temps et à l’oubli. L’événement fondateur de l’Empire est donc placé sous le signe des arts, dont le monarque sera autant mécène que démiurge.
Sa volonté est de faire des lieux de culture un réseau de propagande à la gloire du régime. Les thèmes des opéras sont choisis pour leur résonance avec les décisions de l’empereur et un système de censure très centralisé s’installe
Sa volonté est de faire des lieux de culture un réseau de propagande à la gloire du régime. Les thèmes des opéras sont choisis pour leur résonance avec les décisions de l’empereur (restauration de l’ordre moral, conquêtes militaires entre autres), et un système de censure très centralisé s’installe. Désormais, toute nouvelle production artistique passera dans les mains de Bonaparte lui-même, comme en atteste cette lettre adressée en 1807 au surintendant des théâtres impériaux : “Vous ne devez mettre aucune pièce nouvelle à l’étude sans mon consentement”. Le ton est donné, et bientôt un décret ira jusqu’à fixer le nombre de théâtres autorisés à ouvrir.
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Despote éclairé
Les faits sont têtus, et au regard de ceux-ci, on aura vite fait d’expédier le Premier Empire au panthéon des dictatures et des pires oppressions. Mais, comme toute l’œuvre de Bonaparte, il faut juger la forme stricte des décisions prises à l’aune de ce que nous leur devons : des progrès sur le fond. Comme il le fit en créant le Code civil ou le lycée, l’Empire dota le monde musical français d’outils nouveaux pour affronter la modernité du XIXème siècle.
On ne saurait distinguer de compositeur phare dans cette période de transition entre Classicisme et Romantisme, entre Gluck et Berlioz, mais on peut retenir des changements considérables dans le fonctionnement de notre modèle culturel. Pour l’anecdote, la couleur rouge des fauteuils d’orchestre que nous aimons tant est un héritage indirect de la pourpre impériale qui décorait les salles sous l’Empire. Elle est la trace visible d’une politique qui visait à moderniser les structures, à Paris comme en province et certaines salles (Bordeaux, Dijon, Aix-en-Provence) ont d’ailleurs gardé en héritage l’appellation de « Grand Théâtre », acquise à cette époque.
Partout en Europe, on louait la qualité retrouvée des musiciens français et le faste des spectacles de l’Académie impériale de musique (future Opéra de Paris). Car si les sujets d’opéra sont imposés, la création musicale pure elle, est très ouverte. Notamment sur l’étranger.
Comme il le fit en créant le Code civil ou le lycée, l’Empire dota le monde musical français d’outils nouveaux pour affronter la modernité du XIXème siècle.

Erasmus avant l’heure
Les conquêtes napoléoniennes et les nouveaux moyens mis à disposition des musiciens permettent de faire converger vers la capitale tout ce que l’Europe compte de talents. Paris rivalise avec Vienne et Londres. Dans l’autre sens, les musiciens français partent se former auprès de ce que les nouvelles frontières de l’Empire permettent d’appeler des semblables. Ainsi fut notamment créé le prix de Rome, qui resserre le lien entre compositeurs français et italiens, et permet plus tard aux opéras de Rossini de connaître un grand succès, sous la Restauration.
Une ouverture nouvelle sur le continent qui voit en 1809 la création parisienne de la trilogie da Ponte de Mozart (Noces de Figaro, Cosi fan Tutte, Don Giovanni) ignorée jusque-là par les programmateurs. Les bases du rayonnement musical français sont jetées, et plus tard une nouvelle génération de compositeurs, Berlioz en tête, profitera de ces nouveaux ponts pour inventer le Romantisme français. Romantisme : un mot que Napoléon, en privé, incarnait d’ailleurs très bien.

Vous avez dit “Romantique” ?
“La musique est l’âme de l’amour, la douceur de la vie, la consolation des peines et la compagne de l’innocence.” Dans la correspondance du futur empereur avec son grand amour Joséphine de Beauharnais (dont cette citation est extraite), certaines lettres témoignent d’une grande sensibilité, d’une fibre artistique indéniable et d’un amour particulier de la musique. Dans sa jeunesse, l’empereur français étudie la musique, à l’école militaire de Brienne.
Ses amitiés parmi les compositeurs (Méhul, Spontini) sont connues de tous et l’homme privé s’autorise des faiblesses, voire même des contradictions. Quand en 1804, Beethoven, déçu de voir son héros devenir un tyran, raye le nom de Bonaparte de l’en-tête de sa Symphonie n°3, Napoléon ne s’offusque pas outre mesure. Mieux que ça, il fait des pieds et des mains pour assister quelques années plus tard à la création française de l’œuvre, car il admirait le compositeur. Grand prince… Au-delà de l’admiration, lui, le Méditerranéen, se prend de passion pour l’opéra italien au point de chanter lui-même dans les soirées privées du palais des Tuileries des airs qui lui rappellent son sol natal.
Enfin en 1821, quand sonnera le glas, Napoléon en exil demandera dans ses dernières volontés que soit joué le Requiem de Mozart pour ses funérailles. Quelques détails personnels qui jettent un voile de retenue sur un personnage aussi ambigu que la mémoire qu’il porte. Car au-delà de la politique, au-delà des décrets, de la censure et de l’autorité, l’homme éclaire le tyran. Napoléon adoucit Bonaparte.
Plus d’informations sur la vie musicale au temps de Napoléon
- Le fonds documentaire du Palazzetto Bru Zane fournit des documents originaux de la période (registres de programmations, livrets de mise en scène, articles de recherche etc.)
- France Musique propose une « Bande-son de l’Empire » en écoute libre.
- L’ensemble Les Lunaisiens, spécialistes de la chanson historique sort Sainte-Hélène, un disque consacré aux chansons populaires sous le Consulat et l’Empire.