CONCERT – Créé en janvier 2021 en plein re-confinement, le spectacle de la jeune troupe de musiciens du Centre de musique de chambre de Paris revient sur scène du 18 novembre au 4 décembre. Proust en chausson(s) est une formidable méditation sur l’obsession de la musique. On révise Proust, on découvre Chausson et d’excellents musiciens.
Article paru le 18 janvier 2021 et mis à jour le 15 novembre 2021.
Le Centre de musique de chambre de Paris a l’art de proposer des concepts de spectacle où la musique de chambre est mise en espaces ou mise en perspective afin d’aider à son écoute, voire à sa compréhension. Ainsi, on garde encore un merveilleux souvenir de leur Grande partita KV.361 de Mozart présentée comme un jeu d’échecs entre Mozart et son ami Anton Stadler. Le nouveau spectacle du CMCP (à voir en live streaming) avait repris en janvier 2021 cette même idée d’une amitié qui attise l’énergie créatrice d’un compositeur. L’ami est Marcel Proust (1871-1922) et le compositeur Ernest Chausson (1855-1899). Diffusé à l’époque en streaming sur RecitHall, le voici en chair et en notes.
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« Proust en chausson(s) » associe des extraits des livres du cycle À la recherche du temps perdu de Proust et le Concert pour piano, violon et quatuor de Chausson, un compositeur peu prolixe mais qui, comme Paul Dukas et Vincent d’Indy, représente le chaînon manquant entre le romantisme et la modernité, entre Schumann et Debussy. Imaginé par le violoncelliste Jérôme Pernoo, fondateur du Centre de musique de chambre de Paris, avec la scénographe Camille Dugas et interprété par six jeunes musiciens de la troupe du Centre, « Proust en chausson(s) » invite le public à « comprendre le mécanisme de la mémoire par lequel on entend et apprécie une œuvre musicale ».
La même expérience que Swann
En lisant des passages de la Recherche, le comédien et musicien Léo Doumène décortique ce phénomène physique et psychologique que Proust a décrit sous le terme de « la petite phrase » : cette ligne musicale d’une sonate imaginaire, la Sonate de Vinteuil, qui ramène inconditionnellement son héros, Swann, à son amour pour Odette. Le spectacle s’ouvre hors de la scène, dans une lumière un peu crue : le maître des lieux et père de cette belle idée, Jérôme Pernoo, introduit l’histoire de Swann pour mieux nous faire entrer dans la musique et les sentiments proustiens : comment se souvient-on d’une mélodie ? Pourquoi se fixe-t-elle dans notre mémoire ? Qu’éprouve Swann quand il entend par hasard la petite phrase musicale qui l’avait jadis transporté ? L’objectif est que spectateur fasse, en écoutant la musique de Chausson, la même expérience que Swann : découverte, déception, tristesse, réconfort, nostalgie…

Une réalisation musicale remarquable
Exploitée dans ses moindres placards, la salle Cortot est un bel écrin de bois. Il suffit d’ajouter un piano, un fauteuil club et un lampadaire pour nous retrouver dans le salon de Proust. Fine moustache et col de soie : Léo Doumène (qui a été guidé par la metteuse en scène Elsa Rooke) lit à haute voix les pages de La Recherche (dans la fameuse édition blanche de Gallimard !). Les jeunes musiciens du Centre se baladent sur la scène et autour de Swann tout en jouant – par cœur ! – comme ils le feraient dans leur salon. Citons-les tous : Ryo Kojima, violon, Luka Ispir, violon, Anna-Li Hardel, violon, Paul Zientara, alto, Léo Guiguen, violoncelle et Kojiro Okada, piano.
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Cette déambulation incarne merveilleusement les notes de musiques qui tournoient dans la tête de Swann. La réalisation musicale est impressionnante, mention toute spéciale pour le pianiste Kojiro Okada et le violoniste Ryo Kojima qui montrent une formidable palette de nuances. Nos oreilles sont sous les charmes de ce Concert pour piano, violon et quatuor, élégant et piquant, un véritable dandy musical ! Nos yeux suivent, captifs, « le corps possèdé du violoniste », comme l’écrit Proust.
On oubliera une réalisation live parfois bancale (un cadrage trop large laissant voir les jambes d’un spectateur) pour saluer la captation sonore irréprochable. L’objectif est doublement atteint : révéler des talents et nous faire découvrir l’œuvre puissante qu’est Le Concert de Chausson. Écoutez-le ! Car nous n’ajouterons pas d’autre mots pour le décrire… Comme dit Proust, il faut que la « suppression des mots humains » laisse place à la musique.
Spectacle à voir du 18 novembre au 4 décembre à 21h, la Salle Cortot. Tarif : 12 euros. Informations sur le site du Centre.