COMPTE-RENDU – La comédienne Laetitia Casta et Isil Bengi retracent la vie de la pianiste Clara Haskil. Un – presque – seule-en-scène assez époustouflant, à voir jusqu’au 23 janvier au théâtre du Rond-Point, à Paris.
Clara Haskil fut une pianiste maudite, à l’histoire digne d’une épopée hollywoodienne. Née le 7 janvier en 1895 à Bucarest, elle meurt le 7 décembre 1960, un mois avant ses 66 ans, d’une chute dans les escaliers de la gare du Midi, à Bruxelles. Celle qui fit se lever tout un orchestre en standing ovation à l’issue d’un concert, était en proie au doute quasi-permanent, souffrait d’une scoliose chronique, avait dû quitter sa famille à 7 ans pour partir étudier à Vienne et ne savait vivre qu’entretenue par de riches mécènes. Mais quelle métamorphose une fois au piano !
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C’est à cette femme, aussi phénoménale que hautement fragile, que la comédienne, actrice, mannequin, icône… Laetitia Casta rend hommage, aux côtés de la pianiste Isil Bengi. Le spectacle, Clara Haskil, prélude et fugue, écrit par Serge Kribu, se donne jusqu’au 23 janvier au théâtre du Rond-Point, à Paris.
Une vie tragique et géniale
Dès le début, le ton est donné. Au milieu d’un rond de lumière froid et tranchant git Laetitia Casta. Sa pauvre robe marron glacé est ornée d’un sage col de dentelle blanc et sa jambe droite forme un drôle d’angle. Le reste de la scène est plongé dans le noir et l’on entend un léger crépitement sonore, étrange et pénétrant. Clara Haskil vient de chuter dans un escalier mécanique de la gare de Bruxelles-Midi. Elle se met à délirer, évoquant tour à tour l’incendie de la maison familiale, le plafond de la salle des pas perdus et les principaux moment de sa vie.
Tout le spectacle est sobre, dénué d’artifices, avec une mise en scène de Safy Nebbou pensée au millimètre, tant dans les déplacements et les jeux de lumières que dans la bande-son, véritable caméléon, suivant au plus près la dramaturgie. Car, sur cette base minimaliste, le drame et le pathos se taillent la part du lion !
Du pathos à foison
Laetitia Casta est tout simplement époustouflante en tragédienne antique. Capable de moduler sa voix, en intensité, en hauteur et en rythme, elle nous restitue plus d’une vingtaine de personnages, de la petite fille surdouée au sévère professeur Alfred Cortot, en passant par l’oncle impresario vampirisant et la mécène généreuse et amoureuse.
Sa gestuelle est également magistrale. Sculpturale quand elle se tient face au public, ses bras le long du corps, athlétique quand il s’agit de faire faire plusieurs rotations à un piano à queue de concert ou hautement expressive, enfin, quand son visage grimace les pitreries enfantines ou la douleur d’un corset de torture.
Le niveau d’émotion est soutenu – sostenuto ! -, maintenant un picotement des yeux continu, sans pour autant verser dans les larmes. Le destin de Clara Haskil se devait-il d’être tragique car génial ? C’est en tout cas ce que nous disent, avec talent, la comédienne Laetitia Casta et la pianiste Isil Bengi.
Bonus
Laetitia Casta en duo avec le chanteur Christophe. Une version glamour et sensuelle de Daisy, composée en 1977 par… Jean-Michel Jarre !
Pour tenter de pénétrer la magie entourant le piano de Clara Haskil, voici un enregistrement de concert de 1956, capté au Victoria-Hall de Genève. Elle y interprète le Concerto pour piano en la mineur op. 54 de Robert Schumann, avec l’orchestre de la Suisse romande, dirigé par Ernest Ansermet. Admirez la précision, la délicatesse et la vélocité du toucher, le dialogue quasi-amoureux avec l’orchestre et l’équilibre entre technique pianistique et lyrisme :