DISQUE – La dernière parution discographique de la soprano Golda Schultz est consacrée aux mélodies de Clara Schumann, Emilie Mayer, Rebecca Clarke, Nadia Boulanger… Ce très beau disque soulève la question du rapport ambiguë entre compositrices et mélodies.
Elle nous avait épaté en avril dernier dans l’Elixir d’amore à Bordeaux par son chant, son énergie et son jeu de scène. On s’est donc précipité sur le dernier disque de la soprano sud-africaine Golda Schultz. This Be Her Verse (Que ces vers soient à elle pourrait-on traduire) est paru au même moment sur le label Alpha. La soprano, accompagnée par le pianiste Jonathan Ware met à l’honneur les poèmes mis en musique par des compositrices du XIXe siècle comme Clara Schumann et Emilie Mayer et des contemporaines comme Rebecca Clarke (1886-1979), Nadia Boulanger (1887-1979) et Kathleen Tagg, née en 1977.
Le chant est impeccable, la ligne intense, le verbe clair. Golda Schultz, qu’on a aimé virevoltant et minaudant dans l’opéra de Donizetti, montre dans ce disque un autre visage, plus sombre, plus inquiet (les poésies choisies ne parlent pas que de la jolie nature mais aussi de la mort d’un enfant et de solitude). Et l’accompagnement au piano est à la hauteur de la prestation lyrique. Jonathan Ware est un véritable compagnon, non pas un vague soutien. Tout est parfait alors… dissertons !
« Une femme ne doit pas prétendre composer »
Ses vers à elle ? On tique ! La mélodie, song ou Lied (la version française, anglaise et allemande d’un même principe, celui de la poésie mise en musique) et les compositrices ont une histoire ambiguë qui mérite d’être racontée. Posons d’abord le contexte. Si les femmes ont composé de tout temps, notamment à l’époque baroque, elles ont disparu des livres d’histoire et des mémoires au point que Clara Schumann écrivait en 1839 : « Il fut un temps où je croyais posséder un talent créateur mais je suis revenue de cette idée. Une femme ne doit pas prétendre composer. Aucune encore n’a été capable de le faire, pourquoi serais-je une exception. »
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Le chant est impeccable, la ligne intense, le verbe clair
Compositrices au service des hommes
Clara Schumann est l’exemple parfait du bâillonnement dont ont été victimes les compositrices. Si elles osaient écrire, elles n’ont que rarement pu composer de grandes œuvres (notamment symphoniques), faute, le plus souvent, de formation adéquate : les conservatoires leur étaient interdits. Elles n’avaient en général que deux genres tolérés par le patriarcat ambiant : la berceuse (être femme = être mère, no comment) et la mélodie.
Car dans ce genre, les compositrices offraient leur talent au service de la gloire et des mots… des hommes. Le disque de Golda Schultz fait ainsi entendre les poésies de Friedrich Rückert (le même que celui des Rückert-Lieder de Gustav Mahler), Henrich Heine (la fameuse poésie Die Lorelei choisir par Clara Schumann), Goethe bien sûr, qui a inspiré tant de compositeurs et compositrices, l’Irlandais William Butler Yeats ou encore le Français Paul Verlaine et le Belge Maurice Maeterlinck.
Trouver son clan
Dans son disque, la soprano raconte que cette question l’a conduite à monter ce programme. « Et si une femme écrivait sa propre histoire ?, écrit-t-elle dans le livret du disque. Elle cherche « la voix féminine » et « la femme au centre de l’histoire ». Avec This Be Her Verse, Golda Schultz a eu « le sentiment d’avoir trouvé [son] clan. Des femmes qui avaient tant à dire et pas assez de place dans le monde pour tout dire. »
Elle termine donc par un cycle de songs écrit par une poétesse : Lila Palmer, née en 1986. La compositrice américaine a fait sa spécialité des textes dédiés à être mis en musique, poèmes mais aussi livret d’opéra. La femme qu’elle raconte dans This Be Her Verse aime son lit solitaire, se moque du prince charmant et n’a pas peur des bébés ! De quoi réconcilier les féministes et la mélodie !
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