FESTIVAL – L’ensemble Les Arts florissants invite le public Dans les Jardins de William Christie, son fondateur, pour une dégustation artistique où baroque et botanique se répondent.
En 1985, le chef d’orchestre William Christie rachète une vieille ferme en piteux état, dans le village de Thiré en Vendée. Il la restaure et, n’ayant pas de vaches à faire paître, il dessine des jardins thématiques pour occuper l’espace. Au fil des années, il rachète des terrains tout autour et poursuit ses créations paysagères. Il fait creuser un canal, le Miroir d’eau, et y installe une scène pour y faire des concerts. Il reprend d’autres vielles bâtisses du village et y installe des infrastructures permettant d’accueillir ses autres activités. Le domaine accueille ainsi les répétitions de son ensemble (les Arts florissants), son académie (le Jardin des voix), et, depuis 2012, un festival appelé Dans les Jardins de William Christie.
Les festivaliers y sont invités à un véritable banquet artistique, construit comme ces longs repas de famille dont on ne sort qu’à l’heure du thé. En hors d’œuvre (littéralement), le public est d’abord convié à des ateliers d’une heure pour démarrer l’après-midi. Visite des jardins, initiation à la musique ou à la danse permet de se mettre en appétit, dans une ambiance conviviale.

Puis s’ouvre le buffet avec les Promenades musicales : plusieurs propositions de concerts de 15 minutes parmi lesquels picorer, toutes les demi-heures. C’est l’occasion de découvrir les différents espaces du jardin, ainsi que des artistes plus ou moins confirmés, en petits effectifs. Tout près de la demeure du Chef se trouve un petit Cloître floral, qui ne peut accueillir qu’une vingtaine de personnes. Une ambiance intime, propice à l’écoute d’un duo, comme celui proposé par la soprano Elodie Fonnard et le théorbiste Diego Salamanca. Plus loin, le Mur des Cyclopes rassemble le public sur des rondins de bois, face à la Smagne, un cours d’eau qui porte bien mal son nom en cette saison sèche. On peut par exemple y entendre un duo violoncelle-basson par des artistes de la Julliard School.
Le violoniste fait étalage de toute sa virtuosité tout en ménageant des nuances si extrêmes qu’il en sourit lui-même…
Le petit bois d’Henry-Claude permet de rassembler un public plus large. Une petite scène en bois y définit l’espace, le public s’asseyant tout autour, par terre ou sur des chaises pliantes trimbalées d’un lieu à l’autre. C’est là par exemple que se produisent le ténor Paul Agnew (le co-directeur des Arts Florissants) et le luthiste Thomas Dunford, dont la reprise de « Here comes the sun » des Beatles en version baroque, vrai mélange de saveurs, ravit le public. La Pinède aussi dispose d’une large jauge. C’est donc là qu’ont lieu les concerts les plus en vue, comme celui associant le maître des lieux, William Christie au violoniste Théotime Langlois de Swarte autour de Rameau et Senaillé pour un numéro de haute voltige. Un entremets digne d’un restaurant étoilé. Le violoniste fait étalage de toute sa virtuosité, semblant porter un orchestre entier dans son instrument tout en ménageant des nuances si extrêmes qu’il en sourit lui-même.
À LIRE ÉGALEMENT : La playlist classique de Théotime Langlois de Swarte

Comme dans un long dîner, les enfants sont autorisés à sortir de table et à aller gambader dans les jardins lorsque leur attention retombe. Ils peuvent trouver injuste de se faire gronder pour avoir poussé la chansonnette en plein concert, alors même que certains adultes renoncent à réprimer l’envie de donner de la voix pour accompagner une mélodie connue. Tout cela fonctionne à la bonne franquette : les boîtes d’instruments sont posées à même le sol et les artistes s’amusent du tracteur qui passe dans le champ voisin. Les étudiants de la Julliard School, invités grâce à un partenariat avec les « Arts Flo », peuvent mesurer le travail qu’il leur reste à mener pour atteindre le niveau des professionnels qui les entourent. Si la technique est bien sûr déjà là, il leur reste à incorporer du théâtre, des nuances. Bref, un peu d’âme à leur musique.
les artistes s’amusent du tracteur qui passe dans le champ voisin
Tous les chemins de la Promenade mènent aux Terrasses où un ensemble plus large, d’une douzaine de musiciens, remet le couvert pour un dernier concert. Assis sur un banc, William Christie observe ses ouailles : il a confié la programmation de cet intermède au premier violon de son ensemble, Emmanuel Resche, preuve de la confiance qu’il accorde aux artistes qui l’entourent. Tous ces musiciens n’étant pas des virtuoses de la pince à linge, instrument indispensable pour éviter que le vent ne fasse tourner les pages de leur partition, plusieurs se retrouvent en difficulté, l’entraide étant alors de mise pour assister (parfois en vain) son voisin.
À LIRE ÉGALEMENT : Un Don Giovanni Satanique au Château de l'Emperi à Salon de Provence

Le plat de résistance n’arrive qu’à la nuit tombante, avec un concert grand format, soit sur le Miroir d’eau, comme celui dédié à Mozart avec Eva Zaïcik et les Arts Florissants, soit à l’église du village, comme ce fut le cas le lendemain avec Lea Desandre, William Christie et Thomas Dunford. Les spectateurs sont ensuite invités à rester pour le digestif : un concert méditatif à l’église, au cours duquel le public est invité à ne pas applaudir pour laisser le silence régner sur la fin de soirée. Les prestations proposées, que ce soit par Paul Agnew et Myriam Rignol ou par Théotime Langlois de Swarte, provoqueraient pourtant, en d’autres occasions, une ovation debout.

Lorsque le public sort de l’église, la nuit est déjà noire et les étoiles brillent avec éclat. Il est l’heure pour chacun de trouver un sommeil profond pour digérer ce banquet musical. L’appétit venant en mangeant, il n’y aura pas à se forcer pour se remettre à table dès le lendemain.