PLAYLIST – Jean Boucault et Johnny Rasse ont inventé un métier : Chanteurs d’oiseaux. Ensemble, en oiseaux-prophètes, ils font les médiateurs, avec talent, entre les hommes et le ciel. Leur playlist est à leur image, poétique et riche en envolées !
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Ils sont deux, Jean et Johny, et ils sentent bon le sable -pas toujours chaud !- de la Baie de Somme. L’un est fils de berger, l’autre de pharmacien. Depuis leur enfance, passée dans le village d’Arrest, ils parlent aux oiseaux, et les oiseaux leur répondent. Sans appeaux, juste avec leurs doigts et leurs bouches, ils possèdent un catalogue d’oiseaux fascinant. Ils auraient pu en rester là, se contentant de gagner des concours d’imitateurs d’oiseaux et exerçant les métiers correspondant à leurs études.
Mais c’était compter sans la perspicacité de Bruno Ory-Lavollée, directeur du Festival des forêts, à Compiègne, qui les a mis en relation avec le pianiste improvisateur Jean-François Zygel, afin qu’ils bâtissent une proposition artistique ensemble. C’est ainsi qu’ils sont devenus Chanteurs d’oiseaux, entrelaçant subtilement musique et chants d’oiseaux.
Voici leurs playlist, qui nous en dit un peu plus sur leur rapport si particulier au monde. Mais laissons-leur la parole…
Ralph Vaughan WILLIAMS, The Lark Ascending
JEAN BOUCAULT : « The Lark Ascending signifie ‘L’envol de l’alouette’. Je cherchais une pièce musicale qui rende hommage à la Première guerre mondiale, pour un concert en Angleterre en 2018. Or, l’alouette est un oiseau qui niche au sol et qui s’envole en cercles de plus en plus grands, comme un rapace. À son retour de migration, elle va rechercher les terrains défrichés et c’est ainsi qu’on va la trouver, notamment, sur les champs de bataille. Elle a donc une valeur symbolique forte et est l’oiseau emblématique de la Première guerre mondiale pour les Britanniques. Derrière ce petit passereau qui ne paye pas de mine, se cache un des plus grands mélomanes du monde, avec plus de 600 notes à son répertoire.
Composée en 1881, The Lark Ascending est également une pièce incontournable du « vivre ensemble » britannique, avec ses ritournelles d’alouette imitées et reprises au violon. On ne peut pas parler d’imitation stricte mais plutôt d’un superbe jeu de séduction entre le violon et l’orchestre. D’ailleurs, Vaughan Williams l’a écrite car il était amoureux de sa violoniste…
Ralph Vaughan WILLIAMS, The Lark Ascending
J’ai eu la chance d’enregistrer cette pièce dans le disque La Symphonie des Oiseaux (Mirare), avec la violoniste Geneviève Laurenceau, la pianiste Shani Diluka et, bien sûr, mon compère Johnny. C’est ma pièce préférée.
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Antonio VIVALDI, Concerto pour flûte en Ré Majeur Il Gardinello, 1er mouvement, allegro
Le Gardellino, c’est le chardonneret en Français. j’ai choisi cette pièce en clin d’œil pour mon ami Johnny, qui fait le chardonneret. Franchement, l’imitation de Vivaldi est très réussie, et j’aime beaucoup cette version avec le flûtiste de l’ensemble Matheus, qui virevolte presqu’aussi bien que l’oiseau réel ! »
Franz SCHUBERT, transcription Franz LISZT, Ständchen
JOHNNY RASSE: « Dans le poème de ce Lied de Schubert, qui signifie ‘Sérénade’, on parle d’un rossignol qui montre le chemin, un peu comme un oiseau-prophète qui guiderait l’homme sur un des chemins essentiels de la vie, à savoir celui vers la mort. Il faut dire que le rossignol est l’oiseau de la nuit. Il chante toute la journée mais aussi la nuit. C’est le seul oiseau virtuose présent la nuit, pendant que le merle noir ou la grive musicienne se taisent.
Le Lied Ständchen se situe entre le jour et la nuit, entre la vie et la mort, cette zone que Schubert côtoyait fort. C’est d’ailleurs le dernier Lied-Serenade qu’il a composé, quelques mois avant sa mort, à l’âge de 31 ans.
Et Horowitz, dans la transcription pour piano de Liszt, sait rendre ça comme personne, avec des couleurs et des pianissimos emplis de spiritualité, tellement légers avec ses longs doigts qui caressent le piano ! Il marche sur la neige, sans s’enfoncer, et pourtant c’est tellurique. C’est vraiment incroyable.
Bill EVANS, Peace Piece
Cette « pièce de paix » est une des plus magistrales improvisations jazz existantes, et elle est bourrée d’oiseaux ! On dit que Bill Evans venait de découvrir le Catalogue d’oiseaux, d’Olivier Messiaen, à ce moment-là, et que les oiseaux se sont invités tout naturellement sous ses doigts d’improvisateur. Il y a un côté vraiment humain dans le jazz : tout part de l’homme. Un peu comme nos chants d’oiseaux. J’aime la mélancolie pure, l’introspection contemplative de cette pièce.
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Yma Sumac, Chuncho
Yma Sumac était une chanteuse péruvienne hors du commun, qui pouvait chanter sur 4 octaves, avec des sons très gutturaux mais aussi des harmoniques dans l’extrême aigu absolument fascinantes. Sa manière de chanter est presque chamanique, connectée intimement aux bruits de la nature. Elle a passé son enfance dans la forêt et a vécu au rythme des oiseaux. Si elle ne les imite pas, à proprement parler, elle en est imprégnée, et ses mélopées sont nourries d’une force assez hallucinantes. C’est un personnage magnifique, qui incarne presque, à elle toute seule, tout le monde amérindien. Une légende dit même qu’elle descendrait des empereurs incas.
Ce monde amérindien, nous l’évoquons dans notre spectacle Le voyage musical de Charles Darwin, avec le (poly-)flûtiste Pierre Hamon et ses flûtes du monde entier. Nous donnerons ce spectacle les 7, 8 et 9 octobre au Museum d’histoire naturelle, à Paris, à la Maison de la culture d’Amiens, les 18 et 19 janvier, et les 9, 10 et 11 mars au théâtre Am Stram Gram à Genève.