CONCERT – Dans le cadre de Pulsations 2023, la compagnie vocale La Tempête a présenté son programme Nocturne, dans l’église Notre-Dame de Bordeaux. Un spectacle de choeur total, fondé sur une revisite radicale (au sens propre !) des Vêpres de Rachmaninoff.
En 1915, quand Rachmaninoff commence l’écriture de se Vêpres, chef d’oeuvre rare d’un homme en mal de tradition, il entame le long chemin d’un artiste globalisé qui cherche en lui un reste de racines pour les offrir à une Russie où commence à poindre le désir d’une violente table rase. La tradition orthodoxe, le vieux slavon, (équivalent russe de notre latin) et la solennité du ton : tout concourt à faire de cette heure de musique un plaidoyer pour le temps long. Un cri qui peut résonner bien au-delà de la Russie tsariste vieillissante du début du XXème siècle.
Vent de fraîcheur
Pour que les Vêpres de Rachmaninoff veuillent dire quelque chose en 2023, encore faut-il qu’elles trouvent une mystique nouvelle, à une époque où la sobriété du concert gomme les aspérités de ce genre d’œuvre. Car à trop les jouer en configuration classique, on en vient à les assécher petit à petit, à les vider du décorum de leur esprit d’origine. De ce point de vue-là, la version de la compagnie vocale La Tempête, dirigée par un Simon-Pierre Bestion toujours au cœur du réacteur, décoiffe.
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Les éclairages, la fumée, les déplacements chorégraphiés des chanteurs : tout participe à faire du concert une expérience spectaculaire, au sens propre. Comme d’habitude, la Tempête excelle à créer des formes inouïes, où le chef s’efface au profit de l’expressivité des interprètes. Pour que ça marche, il faut que le chœur soit d’une cohésion à toute épreuve, qu’il soit capable de chanter certains passages sans partition et d’assurer la polyphonie riche de Rachmaninoff sans son voisin de pupitre.
Vent nouveau
Chanter mélangé autour du public n’est pas qu’un effet de mode : c’est aussi redessiner le rapport du spectateur aux artistes. On détecte le timbre du chanteur que le hasard du placement a mis derrière soi. On crée un rapport d’individu sensible dans un art tout entier tourné vers le collectif. Paradoxe ? Oui et non, car l’art de Simon-Pierre Bestion et de ses chanteurs est de savoir jouer avec l’acoustique du lieu pour faire entendre l’ensemble autant que les voix. C’est la recette de La Tempête, et dans ce programme, elle fait merveille.
On ressort de ce concert avec l’impression d’avoir entendu une éclairage tellement nouveau, et assez radical d’une œuvre qui prête le flanc à être revisitée, et augmentée avec des chants byzantins de la tradition orthodoxe. La même que Rachmaninoff avait sans doute en tête quand il a composé ses Vêpres.