AccueilA la UneLe Quatuor Parisii plaide l'obsession au Palais de Justice de Besançon

Le Quatuor Parisii plaide l’obsession au Palais de Justice de Besançon

FESTIVAL – Le Festival international de musique de Besançon Franche-Comté programmait ce dimanche 10 septembre à 11h, un concert de chambre dans la Salle du Parlement du Palais de Justice de Besançon.

Un public au complet est venu de bonne heure voir le Quatuor Parisii, pour cette « audience musicale » (d’ailleurs enregistrée et filmée, les concerts y étant habitués depuis longtemps, et puisque même la justice s’y met…).

Le parquet est bien là, fin et temporaire en bois masquant une moquette de couleur vert clair, devant les fauteuils jaune des magistrats siégeant habituellement en cette Cour d’Appel (qui deviendra ici longue de rappels). La solennité de cet espace est renforcée par des boiseries ornées sur le mur de couleur marron foncé et un plafond peint d’un style romantique sur le sujet de la justice rendue.

Parisii & Cie

Le quatuor réuni tel un cabinet constitué de quatre avocats de la défense, a une heure et demie de plaidoyer en faveur de l’obsession musicale à travers leur propre passion pour le métier de musiciens. La première pièce à conviction présentée à la Cour, ici représentée par le peuple présent, s’appelle Obsessions. Son compositeur, Alexandros Markeas, est en résidence pour le Festival de Besançon. Présent au réquisitoire, après une brève intervention du directeur du festival Jean-Michel Mathé, il témoigne en quelques mots de ses intentions pour cette œuvre créée en 2005. Au travers de personnages sonores, sa première partie de plaidoyer s’organise autour de quatre mouvements d’un quatuor à cordes d’une durée de 15 minutes. Durant le premier mouvement, le public voit le premier violon, Arnaud Vallin, et le violoncelle, Jean-Philippe Martignoni, sur scène, pendant que le second violon Florent Brannens et le violon alto Dominique Lobet, jouent cachés hors scène à droite. La mélodie jouée hors-scène se répète inlassablement, et évolue vers une sonorité sul ponticello (sur le chevalet), un effet rendant le son plus aigu. Elle est ponctuée par les musiciens sur scène au moyen de figures musicales courtes. Les deux musiciens hors-scène rejoignent les chaises du parquet pour un deuxième mouvement plus dense. Se traduisant par la transformation de motifs rythmiques rapides et dissonants, se superposent des interventions ponctuées de glissandi du violoncelle. Cette structure répond aux enjeux du « contradictoire », un peu comme une idée fixe qui couvre le discours musical jusqu’au quatrième mouvement, reprenant avec obsession cette mélodie du premier mouvement, la superposant par le jeu de gestes musicaux jusqu’à ce que la mélodie disparaisse de la partition mais reste néanmoins dans les oreilles du public, comme une persistance auditive (une intime audition emportant l’intime conviction). Et c’est par une interruption brutale en plein milieu du jeu que se termine Obsessions. Le compositeur revient saluer les musiciens pendant des applaudissements convaincus de l’assemblée (qui peuvent ici s’exprimer sans craintes d’être évacués de la salle d’audience).

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À la barre (de mesure)

Appelé à la barre, le témoin suivant présente une nouvelle pièce de convictions : La Oración Del Torero, huit minutes d’exposé sur son obsession pour la confrontation entre la volonté de vie (traduite par la joie d’un spectacle de Tauromachie), et la prière des Toreadors pour éviter leur propre mort. Cette œuvre du compositeur Joaquín Turina, passionné par l’ambiance des fêtes espagnoles, et bien qu’ayant étudié en France, habille en cinq mouvements sa créature de teintes à la fois modernes et de mélodies aux modes profondément ibériques.

Être au plus juste des intentions du compositeur, voilà ce qui obsède le Quatuor Parisii qui met en valeur les passages de relais de la mélodie entre les voix, met en tension l’accompagnement complexe de cette ligne musicale pour atteindre un équilibre tendu dans le registre aigu, comme pour souligner la fragilité de la vie, comme l’est un son. La passion des musiciens se confirme par l’exécution d’un decrescendo, dans un arrêt rendu, simultané, au plus faible de l’émission du son.

Terminer au violon (et pas tout seul)

Le Quatuor Parisii à la barre a sans doute gardé sa pièce maîtresse, celle résumant toute forme d’obsession musicale, pour la troisième partie de son plaidoyer, et sa conclusion. Appelant en témoin clé Franz Schubert, le quatuor présente sa dernière pièce à conviction, rien de moins que son Quintette à cordes D.956 en ut majeur. L’enjeu de cette troisième partie de 51 minutes, c’est de prouver qu’un compositeur obsédé par la cohérence de sa forme musicale, doit requérir (et non pas seulement pardonner) une obsession des interprètes eux-mêmes, de l’équilibre des voix entre elles et de leurs rôles dans la musique, du dialogue entre la musique de salon et les évocations de la montagne, de l’obsession pour contrer les évidences musicales.

Pour cette partie ardue, une cinquième avocate à la cour en la personne de la violoncelliste Emmanuelle Bertrand rejoint le plaidoyer comme premier violoncelle. En chemise blanche et robe à motifs floraux dorés, elle contraste un peu avec les noirs costumes sans nœud papillon des autres avocats, mais le contraste apportant l’équilibre, elle crée un lien plus fort entre la partie de violoncelle traditionnellement à la base mesurée de la partition, et les envolées lyriques des instruments plus aigus. L’alto en première partie, discret par le son en pizzicato mais didactique par son geste apporte des indications d’intention. Par moment, le deuxième violon hausse les sourcils, pendant que le deuxième violoncelle garde les yeux grand ouverts, traduisant cette vigilance de tous les instants qui les fait tous transpirer deux fois, l’une par la chaleur de la salle, l’autre par les efforts physiques et mentaux à produire. L’obsession de la partie de premier violoncelle étant d’être un lien mélodique avec les violons et le violon alto, mais aussi un deuxième support de basse pour le deuxième violoncelle, l’équilibre du volume sonore est un défi majeur de la démonstration. Grâce à des musiciens tenus par la musicalité du détail, le public a pu bien comprendre l’obsession d’un compositeur pour travailler la mélodie, la répéter, répéter les sections, transformer le rythme, ponctuer ses phrases musicales par des cadences toujours surprenantes mais finalement agréables, comme le commentaire acide d’un avocat qui ne fait que traduire la vérité.

Verdict

Suite à cinq bonnes minutes d’applaudissements de la part du public en fin de plaidoyer, la conclusion de l’avocat premier violoncelle, c’est qu’ils n’ont pas de bis car « Pour un bis, il faut avoir quelque chose à dire, mais après Schubert, on a tout dit ». L’issue de ce procès sur l’obsession sera connue après délibération du public, mais des rumeurs dans les couloirs du palais affirment que la défense a de grandes chances de l’emporter.

© Yves Petit
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