CONCERT – Le pianiste français David Fray se présente au Festival Enescu de Bucarest dans la Deuxième symphonie de Bernstein, dans la Salle de la Radio et avec l’Orchestre de la Radio roumaine.
Doina ou Diana ? Rotaru ou Rotary ?
Vous pensez avoir mal lu ? Rassurez-vous, il s’agit de deux personnes différentes, les fondatrices du Rotaru club : un foyer musical pas comme les autres (de mère Doina et fille Diana Rotaru). La ressemblance ne s’arrête pas là : s’y ajoute la correspondance des vocations (les deux sont compositrices), et du métier (toutes les deux étant enseignantes au Conservatoire de Bucarest). Pour couronner le tout, elles sont toutes deux présentées en ouverture de la série des concerts d’orchestres roumains au Festival Enescu. Après les Nympheas de Doina Rotaru, sa fille Diana présente son concerto pour clarinette et l’orchestre : De simplici duplex II, notamment interprété par son collègue de Conservatoire Emil Vișenescu. Il explore les capacités sonores des instruments par un jeu ardent et précis, parcourant les passages du haut en bas et du long en large des registres, mais surtout creusant dans les graves et aigus. Il est rythmiquement enjoué et épanoui et met les percussions au premier plan, faisant recours à une riche palette des sons et des motifs rythmiques.
Métamorphoses du contemporain
Cette série, consacrée aux musiciens du pays, est aussi censée mettre la lumière sur les compositeurs roumains vivants. Cette déterminante contemporaine ne fut pourtant pas imaginée au sens propre du terme par le directeur artistique Cristian Măcelaru, mais dans une idée d’héritages (la musique du XXe siècle), avec des œuvres des grands auteurs qui ont posé des pierres angulaires pour leurs successeurs. Ainsi, une chronologie symphonique est proposée, où l’œuvre de Diana Rotaru est accompagnée des Métamorphoses symphoniques sur les thèmes de Carl Maria von Weber d’Hindemith et la Deuxième symphonie de Bernstein (au piano). Ces Métamorphoses mettent en avant toutes les sections, les cordes et les vents y mettant beaucoup d’élan, avec un jeu compact et enjoué. Le deuxième mouvement Turandot (la même source que Puccini) rappelle de loin la Chine, avec une harmonie modale et polyphonique dense dont le chef parvient à ressortir le réseau mélodique. La flûte offre un solo succulent, alors que tutti s’adonnent à une marche martiale avec des coups de canon aux cuivres qui referment cette partie en triomphe.
Maestro
A l’heure où on dévoile à Venise le nouveau film Maestro de Bradley Cooper sur le célèbre chef d’orchestre et compositeur Leonard Bernstein, le pianiste français David Fray interprète à Bucarest la partie soliste de la Deuxième symphonie de Bernstein, qui fut autrefois à la création en 1949, assurée par le compositeur lui-même. Fray l’avait jouée récemment à la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre de Paris, sous la direction de Marin Alsop (aka Lydia Tár) et seulement quelques mois après la sortie du film éponyme de Todd Field, prétendument inspirée de la vie d’Alsop, l’ancienne élève de Bernstein.
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Simple coïncidence ou un destin cinématographique ? En attendant le remake français de Maestro avec sa participation dans le rôle principal, notre Bradley se présente en soliste aux côtés de l’Orchestre de la Radio roumaine, avec lequel il joua en 2018 lors d’un festival des phalanges radiophoniques encore en cette salle de la Radio. Si sa prestation ici n’est pas à la hauteur d’un Oscar, il assure une partie solide, quoique sans trop d’énergie et d’une allure nonchalante. Il montre une variété de nuances, le piano étant bien tendre et fin, avec un bon usage de la pédale qui soutient le son sans trop l’alourdir. Il est en bonne entente rythmique avec le chef et les sections individuelles (notamment les percussions), même lorsqu’on bascule vers une polyrythmie à la fin. Les moments jazzy sont pleins d’esprit et rythmiquement au point, même si l’expression de manière générale manque de relief.
La salle modestement remplie acclame fortement les musiciens et le pianiste David Fray, tous étant couverts de joli bouquets de fleurs, notamment le chef Francesco Lecce-Chong qui faisait ce soir là ses débuts européens.