AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - LyriqueDon Giovanni à Versailles : ombre ou lumière ?

Don Giovanni à Versailles : ombre ou lumière ?

OPERA – L’Opéra Royal de Versailles présente une nouvelle production de Don Giovanni de Mozart et da Ponte, avec un plateau vocal homogène et l’ensemble de ses nouvelles forces vives : orchestre, chœur et ballet. Sa conception pose de nombreuses questions sur l’œuvre et son interprétation aujourd’hui.

Débat du genre : dramma giocoso ou opera buffa ?

Don Giovanni est souvent présenté comme un dramma giocoso, un drame joyeux. Pourtant, Mozart lui-même le présente dans son catalogue comme un opera buffa. Entre ces deux interprétations, chacun est libre d’y voir plus ou moins d’ombre ou de lumière. Cette production de Château de Versailles Spectacles cherche à faire la synthèse entre les deux, passant de l’une à l’autre en permanence, tant musicalement que scéniquement. Ainsi, Gaétan Jarry, qui dirige l’Orchestre de l’Opéra Royal en impulsant les dynamiques d’une respiration sonore, met dans son geste l’enthousiasme de la comédie, mais pratique souvent des tempi lents, valorisant alors la part d’ombre de la partition. Le Chœur de l’Opéra Royal, récemment créé, prend la lumière par son dynamisme bien placé. 

Choeur et Ballet : pour le meilleur ! © Ian Rice
Place à la jeunesse !

Pour la première fois de son histoire, l’Opéra de Versailles mobilise en effet sur une même production son propre orchestre, son propre chœur et même désormais son propre ballet, toute jeune formation complétant les forces artistiques de la maison. Ce ballet est ici mené par Jeannette Lajeunesse Zingg dans un style très classique, participant à l’action (ils sont par exemple la garde rapprochée du Commandeur dans la première scène) ou animant certains passages par des pas dansés à l’époque de Mozart (en clair, c’est le concept des orchestres jouant sur instrument d’époque, mais adapté au ballet). 

Commedia dell’arte

Marshall Pynkoski dresse quant à lui un parallèle entre l’œuvre de Mozart et la Commedia dell’arte, la scène d’ouverture lui paraissant typique du genre avec Arlequin/Leporello se plaignant de son maître. Les personnages se meuvent ainsi au début comme des marionnettes, ce jeu s’effilochant toutefois au fil du spectacle, sans que ça ne nuise au rendu, bien au contraire, cette contrainte tendant à corseter les interprètes dans leur jeu théâtral. Au demeurant, la vision du metteur en scène reste tout à fait classique. Ainsi la liste des conquêtes de Don Giovanni est ici… une liste, ce qui est presque original aujourd’hui. Le voile de Donna Anna forme un fil rouge au fil de l’ouvrage : il passe de main en main, servant de châle, de mouchoir ou de preuve de la culpabilité de Don Giovanni dans l’assassinat du Commandeur. 

Et elle l’aime quand-même… © Ian Rice
Casa nuova

Pour ses costumes, comme toujours très richement conçus, Christian Lacroix, qui a manifestement fait de l’Opéra de Versailles l’une de ses nouvelles maisons, s’inspire du Casanova de Fellini, tissant un lien entre les deux séducteurs (en y ajoutant donc des éléments de Commedia dell’arte). La légende veut que Casanova, ami de da Ponte, ait lui-même fait des suggestions au librettiste dans son traitement du personnage fictif. Si Don Giovanni, qui viole et qui tue, représente ainsi la part d’ombre d’un « homme à femmes », Casanova en illustrerait la part lumineuse et romantique. 

À lire également : Dom Juan en Casanova à Versailles, c’est pas anecdotique !
Ecolo…

Eccolo ! Le revoilà donc, ce décor réutilisable signé Roland Fontaine, dont la structure était déjà utilisée dans le récent Juliette et Roméo de Zingarelli. Mais alors qu’il était très mouvant dans cette première production, il est ici fixe, représentant une cours, seul un paravent de fond de scène changeant pour peindre un intérieur ou un extérieur. Lors des scènes festives, des lustres descendent des ceintres (dans un mouvement rappelant également une scène du Casanova de Fellini), et ce sont les lumières d’Hervé Gary qui, seules, font évoluer les ambiances visuelles d’une scène à l’autre. Paradoxalement, des balcons sont ajoutés à la structure de ce Don Giovanni, alors qu’ils n’y étaient pas pour le Juliette et Roméo (la version de Zingarelli faisant justement disparaître la si célèbre scène entre les deux amants). 

Au bal masqué… © Ian Rice
…mais pas végan

La prise du rôle-titre par Robert Gleadow est une autre attraction de cette production : lui qui a souvent chanté le valet (y compris in loco, à Versailles), devient cette fois le maître. Dans la pièce, les deux se confondent parfois (Leporello est régulièrement pris pour son coquin de patron, et vice versa), mais l’interprète parvient à une sorte de transfiguration dans son passage de l’un à l’autre. Son port de voix est plus resserré et maîtrisé, son attitude plus altière. Il n’en campe pourtant pas une version aristocratique du gentilhomme : son Don Giovanni est carnassier, semblant toujours prêt à bondir sur sa proie, souriant d’un air presque cruel lorsqu’il dévore l’âme des femmes qu’il séduit. Finalement, l’énergie qu’il mettait en Leporello dans l’air de la lettre, il l’investit cette fois dans l’air du champagne et dans le final, saisissant. 

L’oeil sur sa prochaine proie © Ian Rice
Point par point : plateau homogène
  • Arianna Vendittelli campe une Donna Elvira subtile scéniquement , avec une voix appuyée au médium très pur. 
  • Florie Valiquette exprime toute la détresse de Donna Anna par son jeu et par sa voix fine, puissante et agile. 
  • Riccardo Novaro est un Leporello renfrogné mais dynamique, à la voix très charpentée. 
  • Jean-Gabriel Saint-Martin offre au paysan Masetto une promotion sociale par la noblesse de son timbre corsé et de son phrasé soigné. 
  • Enguerrand de Hys dresse une version sensible, tendre et romantique de Don Ottavio, qui adoucit quelque peu la rudesse du personnage (qui se montre insistant dans sa volonté d’épousailles, jusqu’à faire sa demande sur la dépouille encore chaude de son beau-père). Sa voix est solide, jusque dans l’aigu, avec un timbre riche et une ligne suave et raffinée. 
  • Éléonore Pancrazi offre en Zerlina un pendant féminin à Don Giovanni, semblant à chaque instant être sincèrement amoureuse de l’homme qu’elle a sous le nez, qu’il s’agisse de son fiancé Masetto ou de Don Giovanni. Sa voix dispose d’aigus épanouis et d’un médium chaud. 
  • Nicolas Certenais est un Commandeur à la voix large et profonde à souhait

Après le dernier ensemble en forme de morale, Marshall Pynkoski fait un pied-de-nez à da Ponte : le rideau se relève un court instant sur Don Giovanni, bien vivant, qui rit de son succès (à la manière d’un Duc de Mantoue dans Rigoletto). Dans cette fin en clair-obscur, la lumière de la vie triomphe certes, mais pour mieux laisser l’ombre du mal prospérer.  

Quand la lumière se fait dans la salle, le public réserve en tout cas sans l’ombre d’une réserve un accueil très chaleureux à l’ensemble des artistes. 

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