DANSE – Carolyn Carlson revisite sa création Synchronicity, inspirée par Carl Jung en 2012, de manière brillante et magistrale. Elle chorégraphie ces évènements qui bouleversent le cours d’une vie dans un grand tourbillon d’émotion qui prend aux tripes. On en ressort tout chamboulé, avec une furieuse envie de faire confiance aux hasards de la vie.
Carolyn Carlson : dancing queen

La chorégraphe américaine Carolyn Carlson, figure emblématique de la danse contemporaine, n’a pas fini de faire parler d’elle et a encore la pêche à 80 ans. Comme quoi, l’âge ce n’est que dans la tête, pour celle qui se proclame « grand-mère de la danse contemporaine française ». Après le retour du cultissime Signes cet été à l’Opéra Bastille, elle revient sur la scène du Théâtre Libre avec une réécriture de sa création Synchronicity de 2012, inspirée par Carl Jung avant une tournée dans toute la France en 2024.
Fille d’immigrés finlandais installés en Californie, elle a élu domicile en France depuis 1971. Elle est même devenue Française en 2019. Son ascension est fulgurante : à 30 ans tout juste, elle est nommée chorégraphe étoile à l’Opéra de Paris. Et depuis 2020, elle est aussi membre de l’Académie des Beaux-Arts, section chorégraphie. Ses nombreuses créations sont accessibles pour un public novice grâce à leur fluidité, leur variété musicale et leur forte tendance à générer un tourbillon d’émotions !
Synchronicité : quand le hasard fait sens
Le psychiatre suisse Carl Gustav Jung a été le premier a parler de synchronicité. C’est une coïncidence qui a du sens pour celui qui la vit, un moment magique où l’intuition indique le chemin à suivre par des signes extérieurs. C’est l’exemple du scarabée reporté par Jung : une de ses patientes lui raconte un rêve où on lui offre un bijou en forme de scarabée et au même instant un scarabée se cogne à la fenêtre du cabinet. Étrange coïncidence ou probabilité mathématique ? Dans son spectacle, Carolyn Carlson prend pour fil conducteur cette fatalité du hasard, qui peut chambouler une vie à tout instant : une horloge qui s’arrête à la mort d’un père, une rencontre qui change notre vie, revoir une connaissance qui nous est chère au détour d’une rue… Chez Carlson, le hasard fait bien les choses et permet de créer des liens profonds entre les individus, via la danse.
Flashback : Café Müller, 1978
Le décor avec ses portes, ses chaises et ses tables ainsi que les danses de couple nous immergent dans les années 80 et nous rappellent Café Müller de Pina Bausch, création fondatrice du Tanztheater. Les femmes sont en longue chemisettes blanches, les cheveux détachées (clin d’œil à Pina) et les hommes torse nu en veste de costume et pantalon. Ils sont 6 sur scène : 3 femmes et 3 hommes – bref 3 couples qui se croisent, s’aiment et se séparent, puis se retrouvent. Comme toujours chez Carlson, les gestes sont étirés, fluides, dynamiques et théâtraux, avec de nombreuses mimiques. Cette création nous rappelle qu’une rencontre peut faire bifurquer notre vie à tout moment et déconstruire tout ce que l’on a construit. Le spectacle est alors un enchaînement d’histoires simples qui ont pour thème principal l’amour. Carolyn Carlson chorégraphie ces moments de vie avec fluidité et luminosité. Un tourbillon d’émotions.

Le seuil vers l’inconnu
La scénographie est épurée et invite à s’ouvrir vers l’extérieur : un écran sous forme d’une fenêtre à six carreaux projetant une vidéo en noir et blanc du spectacle de 2012, dans laquelle les danseurs sont des figures fantomatiques bougeant au ralenti, avec une porte rouge qui s’ouvre parfois, laissant passer une lumière éblouissante. On peut alors s’interroger sur la présence de cette porte. Quand les danseurs la franchissent, ils se lancent dans l’inconnu avec une furieuse envie d’ailleurs. On y trouve aussi des moments très poétiques, comme cette femme en robe blanche dans une baignoire en zinc ou des moments plus dramatiques où les femmes revêtent des costumes d’homme et partent à la chasse avec leurs fusils.

La playlist de Carolyn Carlson
Dans Crossroads to Synchronicity, la bande-son est totalement hétéroclite et nous plonge parfois dans l’Amérique contemporaine de Bruce Springsteen, dans l’Angleterre baroque d’Henry Purcell, en passant par Bon Iver, Tom Waits, Alela Diane ou encore Bob Dylan, l’un des musiciens préférés de Carolyn Carlson. Une déclaration d’amour à la pop culture.
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Ce spectacle est un voyage qui nous interroge sur les heureuses coïncidences et nous immerge dans les eaux profondes de l’amour et des relations humaines. En sortant du théâtre, on a la fâcheuse tendance à analyser son passé et à guetter des signes pour mieux prédire son présent. Mais si le hasard fait bien les choses, il n’y a qu’à lui faire confiance et lâcher prise…