COMPTE-RENDU – En 2017, le chef d’orchestre Laurent Campellone et le metteur en scène Thomas Jolly redonnaient vie à l’opéra-comique Fantasio, de Jacques Offenbach. Six ans et un Covid plus tard, ils le remontent, dans le lieu même qui vit sa création en 1872 : la Salle Favart. Une féérie désenchantée très réussie.
Thomas Jolly est, en matière de spectacle, le metteur en scène chouchou du moment. Starmania à la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt) l’année dernière, en tournée dans toute la France et à nouveau en cette fin d’année à la Seine Musicale, c’est lui. Roméo et Juliette de Gounod à l’Opéra-Bastille avant l’été, c’était encore lui. Quant à la Cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024… ce sera toujours lui ! Comme si ça ne suffisait pas, la reprise de sa mise en scène de l’opéra-comique Fantasio, de Jacques Offenbach, se donne actuellement Salle Favart à Paris.
Un destin contrarié
En 2017, en compagnie du chef d’orchestre Laurent Campellone et du musicologue Jean-Christophe Keck, il redonnait vie à l’opéra-comique Fantasio, de Jacques Offenbach, sur un livret d’Alfred de Musset, assez largement remanié par son frère Paul. Commandé par Olivier Mantei, alors directeur de l’Opéra-Comique, il fut accueilli au Théâtre du Châtelet, en raison de travaux Salle Favart. Au vu de la réussite et du succès de cette production, il semblait logique de la voir arriver dans sa « maison-mère », là même où elle fut créé, en 1872. Le Covid faillit en décider autrement mais la persévérance finit toujours par payer : Fantasio fait à présent son grand retour Place Boieldieu, et c’est heureux.
Un destin contrarié (bis)
Un opéra-comique empêché d’exister du fait même de sa naissance, qui coïncide avec la guerre de 70. La France a été vaincue par la Prusse et l’esprit revanchard mène la danse dans l’opinion publique. Au bout de dix représentations, Fantasio est retiré de l’affiche et on assiste à l’époque à un Offenbashing en règle. Qu’à cela ne tienne, Offenbach crée la version allemande au Theater an der Wien et s’embarque dans d’autres aventures, avec notamment son oeuvre-testament, Les Contes d’Hoffmann. Il faudra attendre ces dix dernières années pour assister au retour de la version française initiale de Fantasio.

Un retour en force (du destin)
Un retour magistral, donc, avec cette mise en scène signée Thomas Jolly, fourmillante de détails mais non-surchargée, parfois kitsch (l’histoire le demande !) mais jamais lourde. Ses jeux de lumières sont savants, tour à tour caressants et tranchants, mobiles et prenant une part active à l’histoire. Thomas Jolly parvient à créer des effets de plans larges / plans resserrés presque cinématographiques, tout cela au diapason complet des subtilités de l’ouvrage, aussi bien dans la virevoltance de la langue de Musset que dans le charme un peu mélancolique dégagé par la partition.
Des amours contrariées
Car la partition, même si c’est celle d’un opéra-bouffe, se fait douce et pudique pour relater le jeu d’approche entre une princesse et son bouffon, le rôle du bouffon étant interprété par une femme déguisée en homme. L’histoire est assez simple : la princesse Elsbeth de Bavière doit épouser le prince de Mantoue, la paix entre les deux pays étant à ce prix. Par ailleurs, Fantasio, jeune étudiant fauché, roublard et un tantinet désabusé, cherche à fuir ses créanciers. Sur un coup de tête, il décide d’endosser le costume du bouffon du roi de Bavière, qui vient de mourir, et de se faire une place à la cour. Ajoutez à cela un prince de Mantoue qui échange sa place avec celle de son aide de camp, dans le but que la princesse l’aime pour lui-même. Vous obtiendrez alors des quiproquos à gogo où le ridicule a souvent le dernier mot.
Au milieu de ce capharnaüm Fantasio se glisse habilement, tel un fin renard, réussissant à faire capoter le mariage princier et à s’attirer les bonnes grâces de la princesse. Bonnes grâces qui ne seront pas suivies d’effet, puisque Fantasio quitte finalement la cour, n’emportant avec lui que la clef du jardin de la princesse…

C’est bien Jolly tout ça !
Pour interpréter ce duo amoureux, la mezzo-soprano Gaëlle Arquez est un Fantasio de bonne tenue, à la belle ampleur vocale, au jeu scénique élégant et souple et à la voix parlée qui laisserait presque croire qu’il s’agit d’un garçon. Pour lui répondre, Jodie Devos, dont le timbre de colorature s’affirme avec grâce et aisance, est une princesse charmante, avec juste ce qu’il faut de fausse ingénuité pour faire jeu égal avec le charme un peu roué de Fantasio. Autour de ce duo central, les personnages hauts en couleur du roi de Bavière (Franck Leguérinel), du prince de Mantoue (Jean-Sébastien Bou) ou encore de l’aide de camp (François Rougier) mènent la cadence générale avec talent et entrain.
C’est l’ensemble de l’équipe artistique qu’il convient de saluer : Laurent Campellone, qui, avec un plaisir certain, dirige un Orchestre de chambre de Paris détendu et festif et un choeur Aedes en pleine forme, mais aussi Sylvette Dequest, pour des costumes à la fois classiques et inventifs ou encore Thibaut Fack et ses décors habilement composés. Le tout formant un résultat… bien Jolly.