DANSE – Aurélien Bory part sur les traces de Pina Bausch en Sicile pour lui rendre hommage avec un ballet narratif qui dénonce les drames des temps modernes comme le cancer du sein ou la mort de plusieurs migrants en Méditerranée. En toile de fond, Le Triomphe de la mort, fresque gothique magistrale de 1446 devenue le symbole de la ville de Palerme. Un spectacle poétique qui allie musique, danse, théâtre et art visuel mais qui se perd parfois dans l’énumération de drames humains…
Aurélien Bory : késako ?
Après des études de physique, Aurélien Bory travaille dans le domaine de l’acoustique architecturale avant de changer de cap et de se lancer dans les arts de la scène grâce à une formation au Lido – Centre des arts du cirque, à Toulouse. Il fonde ensuite en 2000, sa propre compagnie, la compagnie 111 où il développe un « théâtre physique » autour de l’espace et du corps où il allie cirque, danse, théâtre, musique et arts visuels. Aujourd’hui, il présente Invisibili au Théâtre de la Ville, sa dernière production créée au Teatro Stabile Biondo à Palerme en octobre 2023, le même théâtre qui avait accueilli le célébrissime Palermo Palermo de Pina Bausch en 1989 et qui l’a beaucoup touché.
Voir Palerme et mourir
Sa nouvelle création propose de s’attarder sur l’impressionnante et fascinante fresque murale gothique de 6 x 6 mètres « Le Triomphe de la mort » datée de 1446, non signée et conservée à la galerie régionale du Palais Abatellis à Palerme, en Sicile. Elle est devenue au cours du temps le symbole de la ville de Palerme. La mort symbolisée par un squelette cavale sur un cheval rachitique en semant la mort sur son passage en épargnant personne : jeune ou vieux, riche ou pauvre. De cette fresque majestueuse prise comme seul décor, Aurélien Bory brode une histoire faite de drames modernes comme le cancer du sein ou la mort des migrants en Méditerranée. Comme quoi, en regardant un chef-d’œuvre, un esprit peut facilement dériver vers le présent et les catastrophes contemporaines.
Aurélien Bory s’interroge sur le rapport entre l’art et la mort, mais aussi sur celui de la danse et la peinture. Le titre Invisibili n’a pas été choisi au hasard : il fait référence au fait que « la mort comme le temps est invisible et le sera toujours et que l’impossibilité de savoir ce qu’il y a après la mort a donné naissance à l’art ». Alors cette toile fascinante prend toute la place dans son spectacle et va même jusqu’à engloutir les danseurs puis les recracher au son du saxophoniste compositeur palermitain Gianni Gebbia. Cette toile deviendra aussi rouge sang sur la chanson Hallelujah de Léonard Cohen, qui nous procurera un beau moment d’émotion.
Morts. Instantanés.
On se balade littéralement sur la toile, immortalisée par quatre danseuses de Palerme. Valeria, Blanca, Maria Stella, Arabella et l’acteur-musicien Chris Obehi imitent parfois les postures et les rictus des personnages peints, mais toujours en les ancrant dans les temps modernes. On assiste entre autres à une auscultation du sein d’une jeune femme entourée de médecins en blouses blanches. Cette jeune femme a la trouille de mourir du cancer, fléau contemporain équivalent de la peste noire pour l’époque de la toile.
Dans la scène des migrants sur un canot pneumatique, une tempête fait rage. Une bâche très fine flotte au-dessus des danseurs grâce à une soufflerie. Cet effet scénique vu récemment dans Exit Above de Anne Teresa de Keersmaeker marche toujours aussi bien. L’histoire des migrants c’est un peu celle de Chris Obehi, l’acteur de la pièce, jeune migrant nigérien qui à 17 ans a traversé la mer sur un bateau pneumatique depuis la Libye jusqu’à Palerme. Une couche d’émotion supplémentaire.
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Danse sur toile au musée d’OrsayPour résumer, le spectacle nous ébranle parfois avec quelques tableaux poétiques et magnifiques, mais flirte par moments avec le misérabilisme. Le spectateur peut se sentir parfois perdu dans cet enchaînement de catastrophes contemporaines sans lien entre elles, mais retiendra quelques beaux moments. Il ou elle verra surtout Le Triomphe de la Mort d’une autre façon.