COMPTE-RENDU – L’Opéra de Paris reprend Giulio Cesare de Haendel dans la mise en scène de Laurent Pelly, plaçant l’histoire égypto-romaine dans un musée. Suivez le guide :
Le Palais Garnier est un musée vivant, musée pour sa beauté et vivant justement parce qu’il fait re-vivre presque chaque soir les trésors conservés du passé que sont les opéras… C’est d’autant plus flagrant avec cette mise en scène de l’opéra Jules César créé par Haendel en 1724 à Londres : la maison parisienne est allée rechercher dans ses cartons -pas si poussiéreux du tout- cette mise en scène inaugurée en 2011.
Le public est plongé dans une énorme réserve d’artefacts Romains et Égyptiens (la réunion des œuvres du musée suit la glorieuse et tragique rencontre des deux mondes et des deux cœurs, entre Jules César et Cléopâtre). Le personnel installe et réaménage les collections pour les visiteurs du lendemain, et c’est alors que le musée prend vie : comme dans la fameuse série de films Night at the Museum. Les personnages s’animent, habillés en costumes d’époques, comme des spectres du passé un peu perdus d’abord mais prenant progressivement possession des lieux et des artefacts. Ils échangent alors avec davantage de clarté et de force, s’aiment et se haïssent dans cette lutte pour accéder au pouvoir, comme pour prendre le contrôle de ce musée (conquérir la mémoire, n’est-ce pas conquérir l’histoire) !
Collections anciennes, connexions nouvelles
La fonction de gardien du temple opératique n’est pas confiée ici à Ben Stiller mais au chef Harry Bicket. Pourtant, le spectateur pouvait craindre que le répertoire baroque ne paraisse un peu « poussiéreux » à l’orchestre maison qui y est très peu habitué (en 2011 et 2013, Emmanuelle Haïm dirigeait en cette fosse son Concert d’Astrée tandis qu’en 2002 dans la production de Nicholas Hytner, c’était Marc Minkowski avec ses Musiciens du Louvre-Grenoble). Nulle poussière ni rouille ni rodage toutefois pour l’orchestre qui se fait bien nuancé, alors que les instruments modernes offrent davantage de volume. Justement, les instrumentistes sont attentifs au juste volume sonore pour conserver un bon équilibre avec les chanteurs sur scène (dans un musée comme partout, mieux vaut bien s’entendre entre les différentes ailes, et les différents services). D’ailleurs le Chœur Unikanti dirigé par Gaël Darchen est également très équilibré, sûr et solide.
Voix tout’l’temps canon
La vitalité de ce musée est notamment nourrie par un trio féminin aux prestations pharaoniques. Si la pointe du nez de Cléopâtre a changé la face du monde, le pointu dans les aigus de la voix de Natalie Dessay a marqué les esprits dans ce personnage dans cette production. Il est ici confié à Lisette Oropesa qui assume le tour de force de ce rôle aux 8 airs et au sublime duo final avec César. 8 airs et comme l’acmé d’une danse des 7 voiles dans son costume en semi-nudité feinte, mais d’une sensualité assumée, féline et incandescente. Sa voix finement tissée comme de la soie est de même : rayonnante dans les aigus, riche dans le médium et toujours sonore, même dans les tons graves.
Gaëlle Arquez est également impériale en Jules César, d’une impressionnante voix flexible de bas en haut mais avec un timbre agréablement installé, charpenté, sonore et appliqué dans toute son étendue.
Mais Emily D’Angelo dans le rôle de Sesto (fils de Cornelia la veuve de Pompée battu par César) est pour beaucoup la révélation de la soirée. Assumant ce rôle travesti avec une tendresse de garçon, elle n’en déploie pas moins un timbre d’une intensité martiale, capable de transmettre ses émotions fortes avec la vivacité d’une énergie tenace. Le public l’acclame à voix haute au moment des saluts.
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La galerie de personnages est complétée par Wiebke Lehmkuhl (Cornelia, veuve de Pompée) conservant un vrai legato, très lisse, et des nuances en couleurs intimes (parfois couvertes par l’orchestre, dans les graves). Sans égaler l’intensité des héroïnes, les seconds rôles masculins offrent aussi des moments forts dans des scènes intéressantes (le Curio d’Adrien Mathonat et l’Achilla de Luca Pisaroni dans les voix graves, et les contre-ténors Iestyn Davies et Rémy Bres en Tolomeo et Nireno).
Au final, le public ressort de ce musée vivant émerveillé, n’ayant pas vu passer le temps de l’horloge et les époques historiques, classique et modernité fonctionnant comme des cartes-postales animées de l’Égypte sous les lumières de Joël Adam et dans les impeccables décors de Chantal Thomas.