Traviata, star de l’académie

OPÉRA – Tout frais et pas encore moulu, Eddy Garaudel en a déjà sous le pied ! Sollicité par l’Opéra de Bordeaux pour sa deuxième opération « pied à l’étrier » dans le cadre de son Académie, le jeune metteur en scène a livré sa première Traviata, en version tout terrain, avec un trio de chanteurs clinquant et une formation de chambre. Attelage baroque pour un opéra romantique au possible.

Elle est seule. À jamais seule. Y compris sur l’affiche, qu’Eddy Garaudel a choisi pour illustrer la tristesse, derrière le clinquant. Traviata Revisited, c’est le nom du spectacle. Non pas qu’Eddy l’ait choisi, mais devant la consigne donnée par l’Opéra de Bordeaux (l’idée de créer une jeune troupe éphémère pour monter un spectacle date de l’an dernier), en bon élève issu des bonnes écoles, il s’exécute. Alors il revisite : 1h45 montre en main, avec la partition de Louise Borel cousue sur mesure pour les quatre instrumentistes du spectacle.

Aux larmes, citoyens

Là où La Traviata de Verdi ajoute le vernis d’une morale bon chic bon genre venue droit du XIXème italien, la Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas (le roman dont est issu l’histoire) est une tragédie sociale qui éveille en nous un sentiment d’injustice criant. Violetta y est une femme forte qui se bat pour son indépendance financière et affective, avec ses armes : séduction, mondanité, corps. Alors bien sûr, quand l’amour toque à sa porte, quand la possibilité d’une vie franchement heureuse avec un type bien se présente à elle, tout est chamboulé. Bonheur offert, puis retiré. C’était trop beau pour être vrai…

À lire également : Traviata et nous méritons un avenir meilleur

Avec sa Violetta au centre, voilà l’histoire qu’Eddy Garaudel a voulu raconter. Lui aussi se bat avec ses armes, fourbies dans l’ombre bienveillante des spectacles à tiroir de Pygmalion (dont il est dramaturge). Et les armes d’Eddy, c’est une modernité à tout crin, qui marche sur toutes ses jambes : une scénographie percutante, une prise à témoin directe des spectateurs, l’absence de morale, le quatrième mur brisé, et la mort exorcisée dans une fin en forme de point d’interrogation qui, avec la force du tragique que contient l’ADN de l’histoire, nous fait toujours l’effet d’un poing en pleine face.

© Pierre Planchenault
Dumas, dans le texte

Eddy Garaudel est normalien. Comprenez : un bouquineur fidèle au texte. C’est donc tout naturellement que, pour sublimer la contrainte d’une Traviata réduite à trois personnages, sans orchestre et sans choeur, il a choisi d’éclairer le livret de l’opéra avec des passages parlés choisis dans la sève originelle d’Alexandre Dumas. Un choix fort dans un monde de l’opéra où les artistes C2 en langue de Molière ne courant pas les rues. Davide Tuscano et Yosif Slavov sont deux Germont père et fils archi convaincants quand il s’agit de chanter, l’un charnel à souhait dans ses aigus de ténor et son rôles d’amoureux torturé, l’autre sombre et profond dans ses graves de baryton paternel. Mais quand il faut parler, ça pêche un peu. Enfin, rien qui ne nuise à la star de la soirée : la Traviata herself ! Deborah Salazar, sous ses airs de madone, a du caractère à revendre. Sa voix de jeune soprano lyrique est déjà bien installée : c’est un tremplin d’où bondit une force éclatante qui emporte la musique, la pièce et nos larmes avec.

Cette Traviata Revisited c’était d’abord une jolie troupe qui, a sûrement bossé comme des fous qu’ils sont, pour monter un opéra aussi ambitieux, dans la contrainte d’une forme aussi restreinte. Un défi pour la lumière, pour les décors, pour la dramaturgie, pour la musique. Mais ils l’ont fait, ils peuvent être fiers ! Et nous, on ira suivre de près les jolies pépites qu’on a découvert ce jour-là…

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