COMPTE-RENDU – Voici par le menu ce qui nous est donné à déguster au public du Théâtre des Champs-Elysées venu découvrir la nouvelle mise en scène d’Olivier Py, en provenance de Toulouse :
Boris Godounov est une véritable pièce montée : opéra emblématique, et sans doute le plus connu de Moussorgski, et pour cause. Tout est réuni pour faire un bon livret : un despote intrigant qui a fait assassiner le Prince légitime Dimitri, fils d’Ivan de le Terrible, à l’âge de 7 ans, qui use de propagande pour asseoir son pouvoir, et qui, pris d’hallucinations répétées, et de plus en plus violentes, finit par mourir emporté par la culpabilité et la folie, confiant le pouvoir à son propre fils qui sera étranglé quelques mois plus tard…
Retrouvez également le compte-rendu Ôlyrix de cette production à Toulouse
Une mise en bouche roborative
Olivier Py, avec son goût du mélange des genres, s’est emparé de l’ouvrage dans sa version la plus concise, celle de 1869, en un prologue et trois actes (sans l’acte polonais donc), en invoquant, par un système de modules mobiles et tournants, tout ce qui caractérise la Russie dans l’imaginaire collectif occidental. Au « menu » : les icônes dorées et les manteaux rutilants des popes, les coiffes traditionnelles des paysannes, la danseuse étoile en tutu probablement membre du Bolchoï, les églises à bulbes argentés, l’architecture soviétique de métal et de béton, les milices para-militaires (de type Wagner), les immenses bureaux du Kremlin aux lustres gigantesques (lustre sur lequel Boris s’embarquera telle une nacelle de montgolfière, un des moments les plus marquants de la soirée), antichambres grisâtres où les conseillers les plus fourbes décident dans l’ombre de la mort de centaines d’opposants, la morgue et le bling-bling des oligarques en costumes noirs et en limousines…
Py nous sert tout ces éléments pêle-mêle, comme pour faire de Boris une sorte d’almanach instantané de la Russie présente et passée en un kaléidoscope géant, mais ce côté salade russe ou bortsch demeure légèrement indigeste par son côté systématique et surtout par la multitude de changements de de décors et d’ambiance jusqu’à donner le tournis…
Surtout, il met en image, par de la pantomime, de manière systématique, chaque narration (et ce livret est une succession de monologues racontant l’action), alourdissant toujours plus un bœuf Stroganoff déjà épais.
Une entrée manquant de saveur
Côté fosse, Andris Poga n’arrive pas vraiment à faire prendre la mayonnaise : après avoir cherché pendant le prologue à accorder le chœur et l’orchestre, et résolu des décalages persistants, il se met vraiment à l’ouvrage dans la scène du Monastère, livrant de belles nuances et des envolées saisissantes, mais son soufflé ne tient pas ses promesses jusqu’au bout, les grandes scènes de chœur devant Saint-Basile ou bien pendant l’oraison funèbre de Boris sonnant par trop monotones et l’éventail de nuances de l’Orchestre National de France restant trop sagement restreint. Le Chœur du Capitole offre quelques ensembles dignes d’un plat étoilé, avec un beau relief et des constructions plus raffinées, mais souvent aplaties par une battue qui tient plus des œufs de truite que du caviar…
Un plat équilibré et savoureux
En guise de blinis et de saumon fumé, le plateau vocal est par contre dans l’ensemble plus que satisfaisant.
Sulkhan Jaiani et Barnaby Rea accomplissent leur courte mission en Nikitich et Mitiouchka avec efficacité.
L’Innocent de Kristofer Lundin s’avère très touchant, déjà parce qu’Olivier Py lui confie un rôle de figuration omniprésent (comme le témoin impuissant de tous les crimes qui se succèdent), mais surtout parce que ses aigus laser et l’aspect plaintif du timbre font merveille dans sa grande scène avec le chœur d’enfant.
Victoire Bunel en Fiodor, Lila Dufy en Xenia et Svetlana Lifar en Nourrice croquent leurs rôles respectifs comme des pirojkis bien frais, avec une aisance évidente et des timbres adéquats.
Sarah Laulan est une aubergiste de belle carrure (costumée en prostituée de bas-étage par Py sans que l’on comprenne vraiment pourquoi) aux graves veloutés, mais malheureusement privée de la chanson du Canard bleu réservée à la version de 1872…
Fabien Hyon s’amuse avec facilité du rôle sympathique et alcoolisé de Missaïl, tandis que Yuri Kissin déploie la noirceur de son timbre en Varlaam, même si l’extrême grave sonne un peu mat.
Airam Hernandez ne fait qu’une bouchée gourmande du rôle du faux Dimitri (il est vrai que sans l’acte Polonais le rôle est plus restreint), avec des aigus étincelants, une vigueur héroïque dans le monologue du rêve et une projection redoutable dans le médium.
Mikhail Timoshenko concocte les deux interventions magistrales de Chtchelkalov avec une facilité insolente, des phrasés étudiés et des aigus chatoyants dignes des plus belles icônes de la Cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux.
Marius Brenciu aussi, en Chouïsky roublard, que Py a grimé en Trotsky de Carnaval, déploie une ligne souple et gracieuse comme une crème pâtissière de palace. On rêve de l’entendre dans les grands emplois belcantistes, le rôle du Prince traitre étant presque trop élégant pour lui.
Le Pimène de Roberto Scandiuzzi est un rien frustrant, comme une Forêt Noire majestueuse à laquelle manquent les cerises griottes. Certes le matériau vocal est immense et l’impact stupéfiant, mais la tierce aigüe sonne légèrement engorgée et du coup les envolés du récit d’Ouglitch sont compromises par un serrage répété, même si l’on ne boude pas son plaisir devant ce médium vif-argent d’une noblesse rare.
Enfin, Alexander Roslavets offre à l’auditoire conquis (au vu des applaudissements) un rôle-titre exemplaire à plus d’un titre : legato ample et cuivré, registres d’une rare homogénéité, mais surtout une théâtralité et un sens de la dramaturgie qui enivrent comme un verre de vodka glacée. Impérial dans la scène d’accession au trône, touchant dans le monologue sur le pouvoir, effrayant et comme possédé dans la grande scène de folie finale, la basse biélorusse fait aujourd’hui incontestablement partie des grands titulaires du rôle. Nous lui attribuons trois étoiles sans hésiter !
Un dessert contrasté
Le public applaudit avec enthousiasme le chœur et les chanteurs, réservant un accueil mitigé parsemé de quelques huées éparses pour le metteur en scène, en guise de Korzinotchka (un petit sablé qu’on sert en fin de repas en Russie) !