Roméo + Juliet : trash-édie

DANSE – Une modernisation de la pièce phare de Shakespeare se déroulant dans un centre de redressement. Un ballet trash mais brillant par le chorégraphe britannique star Matthew Bourne, à découvrir sans plus attendre au Théâtre du Châtelet, pour une vingtaine de représentations jusqu’à fin mars. Un truc de dingue…

Trash-édie

On est loin de la version de Noureev avec son décor féerique et ses nobles bon chic bon genre : cette version-là se déroule dans un centre de redressement pour jeunes délinquants, aux allures d’hôpital psychiatrique. Décor épuré avec carrelage blanc et portes grillagées, des chaises et des lits de dortoir pour seul mobilier : on est plongé dans l’univers aseptisé du « Verona Institute » supervisé par des infirmières, les mêmes que celles de Vol au-dessus d’un nid de coucou, avec des affreux gardes dont le méchant Tybalt, qui persécute et abuse de Juliette. Lui, n’est pas sans rappeler l’horrible gardien de Sleepers. L’histoire c’est celle de Roméo, garçon de bonne famille, abandonné par ses parents politiciens blindés aux as, qui débarque au Verona Institute et qui va tomber amoureux de Juliette. En bref, ce Roméo + Juliet est une relecture complète d’un premier amour, sans glamour…

Une réécriture sulfureuse 

Mondialement connu pour ses adaptations sulfureuses des ballets classiques à l’instar du Lac des Cygnes, Matthew Bourne pousse les leviers encore plus loin que la version culte de Baz Luhrmann qui se déroulait à Verona Beach. En effet pour cette nouvelle adaptation, il va même jusqu’à réécrire l’histoire et en tirer un scénario inédit qui pourrait être celui d’une nouvelle comédie musicale sans paroles avec des chorégraphies de groupe rappelant celle de Robbins dans West Side Story. Le génie de ce chorégraphe est de rendre la danse accessible à tous comme le serait un film ou une série TV, avec des tableaux narratifs d’une efficacité redoutable : entraînement sportif, émeutes, contrôles médicaux, bal costumé et bien sûr la scène du balcon. Le premier tableau donne le ton sur le tube de Prokofiev. On assiste à une danse de groupe superbement calée sur la musique, avec des danseurs jeunes, beaux et dynamiques en pyjamas blancs, qui dégagent une grande vitalité et transpirent la rage de vivre. Ils s’investissent sans faille dans leurs chorégraphies et leurs jeux d’acteurs pour nous procurer le maximum d’émotions. 

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Innocence brisée

Le jeune couple Roméo (Paris Fitzpatrick) & Juliette (Monique Jonas) forme un duo époustouflant, d’une grande sensualité. Comme dans la pièce d’origine, ces jeunes découvrent l’amour dans un monde adulte violent qui voudrait les plier à leur règle. L’une des plus belles scènes est la scène de leur rencontre lors du bal costumé organisé par la révérende Bernadette Laurence, rappelant celui de Grease avec son énorme boule à facette et ses robes colorées qui contrastent avec les tenues blanches du reste du spectacle. Les amants se touchent et se découvrent comme de jeunes enfants pendant que leurs petits camarades dansent collectivement en rythme sur la musique de Prokofiev. Et plus la soirée avance, plus elle devient orgiaque : des couples s’embrassent et se déshabillent de façon langoureuse. D’autres scènes émouvantes ajoutent une touche de romantisme et une lueur d’espoir dans cet univers violent, comme la scène du balcon ou de la fuite dans les dortoirs. 

© Johan Persson

Mais l’amour ne dure jamais dans ce spectacle. Il est sans cesse menacé par l’affreux gardien Tybalt (Matthew Amos) qui en plus de violer Juliette est aussi un agresseur homophobe qui persécute le couple gay formé par Mercutio (Cameron Flynn) et Benvolio (Adam Davies). Un vrai méchant qu’on aime détester. Les danses sont intenses et d’une rare violence chorégraphique, scotchant les spectateurs à leurs fauteuils comme la scène de viol de Juliette, ou encore de celle de la mort de Tybalt par strangulation. On oublie pas bien sûr celle de la fin, qui diffère légèrement de la version de Shakespeare mais dont on ne dira rien. Pour atténuer toute cette violence, des scènes drôles sont introduites, comme celle du déshabillage puis du rhabillage de Roméo par ses camarades. Il faut bien quelques moments d’accalmie pour souffler un peu avant une tempête violente.  

© Johan Persson

Matthew Bourne signe une adaptation actuelle qui décoiffe avec beaucoup de clins d’œil cinématographiques qui fera le bonheur de la jeune génération. Il dénonce une société adulte violente qui voudrait contrôler les esprits des plus jeunes, qui se rebellent en exultant toute leur violence emmagasinée. Une vraie « dinguerie » à découvrir sans plus attendre au théâtre du Châtelet. 

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