DANSE – Les trois tableaux présentés lors de ce weekend de Pâques à la Philharmonie de Paris sont le fruit des retrouvailles entre le chorégraphe et danseur Benjamin Millepied, directeur de L.A. Dance Project et du compositeur néo-classique Nico Muhly.
Une amitié de longue date qui donne lieu à des œuvres exigeantes et sensuelles : la soirée a été construite de façon chronologique avec un nombre de danseurs et de musiciens augmentant de pièces en pièces. Les tableaux chorégraphiques se déroulent dans un décor minimaliste où les danseurs portent leurs mêmes vêtements de ville quelle que soit la pièce. Des gens comme nous quoi !
Triade (2008) – Feu Robbins
La soirée débute avec une pièce phare des deux artistes, Triade créée pour l’Opéra Garnier en 2008 en hommage à Jérôme Robbins, le mentor de Millepied du New York City Ballet. Deux couples (Nayomi Van Brunt, Lorrin Brubaker, Daphne Fernberger et David Adrian Freeland Jr.) se frôlent, se rencontrent, s’aiment, se séparent puis changent de partenaire. Leurs mouvements sont hésitants, maladroits puis fougueux et ludiques. Le génie de Millepied réside dans son habilité à fusionner les éléments des duos du ballet classique avec les codes du contemporain, créant ainsi une chorégraphie intemporelle avec une touche de modernité. Les mouvements nous plongent en tant que spectateur dans une gamme d’émotions qui va de la passion brûlante à la violence de la séparation puis à l’excitation d’une nouvelle rencontre. Cette atmosphère immersive est intensifiée par la musique de Nico Muhly créée pour qu’elle colle au plus près de la chorégraphie comme le faisait jadis Bernstein avec Robbins. On assiste alors à une parfaite osmose organique entre la musique et le mouvement des corps.
Moving parts (2012) – Eau trouble
Dans Moving parts, créé en 2012, légèrement en dessous des deux autres pièces, les trois panneaux colorés et recouverts de chiffres et de lettres imaginés par le plasticien Christopher Wool restreignent l’espace des six danseurs, qui vont jouer avec eux. Ils les déplacent à leur guise comme un jeu de cache-cache, où ils apparaissent et disparaissent derrière eux reconfigurant ainsi l’espace à l’infini. Ce tableau-là requiert plus d’une prouesse technique et sportive, mais l’émotion passe moins dans la salle. Voir des danseurs pousser et tirer ses grands panneaux donne lieu à une chorégraphie un peu fouillie. La musique de Mulhy contient de beaux passages d’église pour orgue avec un Alexis Grizard de l’Ensemble Le Balcon, majestueux aux manettes de l’orgue de la Philharmonie que l’on découvre tout en haut d’une porte éclairée. On suit la déambulation des danseurs comme ils le feraient dans une galerie d’art, à contempler les panneaux comme des tableaux mais nous on s’ennuie un poil… On finit sur une meilleure note : un captivant duo masculin.
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Me.You.We.They (2024) – Les caresses du vent
La dernière pièce est la dernière création de Millepied et Muhly pour la Philharmonie. Son origine provient d’une conversation des deux artistes dans le désert du Qatar où Nico Muhly imagine « la pulsation d’une note unique explosant ensuite en différentes variations » donnant lieu à « One Speed, Many Shapes ». Cette dernière pièce est envoutante : Millepied prend encore plus de liberté dans ses mouvements, avec dix danseurs et quinze musiciens ! On retrouve les duos sensuels semblables à ceux de Triade mais aussi des solos et trios qui s’alternent avec de beaux mouvements d’ensemble où le collectif prend le pas quand un des danseurs s’arrête et s’immobilise, comme pétrifié. Cette dernière pièce laisse beaucoup de plus de liberté aux danseurs qui semblent parfois improviser : un homme et une femme s’attirent et se repoussent comme des aimants, un trio masculin s’élance dans l’air, un duo d’équilibriste sous tension par Benjamin Millepied et Eva Galmel. Le génie créatif de Millepied associé à la musique de Mulhy nous transporte une fois de plus dans un flot d’émotions avec ces corps en mouvement qui s’accélèrent quand la musique ralentit et inversement.
Une soirée réussie qui témoigne du talent de Millepied pour les duos charnels, qu’on adore redécouvrir, car peu de chorégraphes contemporains arrivent avec autant d’aisance à chorégraphier la passion brûlante de la rencontre.