CONCERT – La Musique de l’Air avait rendez-vous aux Invalides, pour un concert dans le vent qui s’inscrit dans une longue saison de musique. Comment va la clarinette française ? La réponse en trois suites et deux concertos !
Rencontre des artistes avec un public, le concert est aussi celle d’un lieu. A Saint-Louis des Invalides, le gigantisme et la solennité du monument, le souffle de l’Histoire et les spectres omniprésents s’impriment dans la mémoire presque autant que la musique ; ils font pardonner la réverbération excessive et l’absence de praticable pour surélever l’orchestre.
Le courant passe bien
Ce concert de la Musique de l’Air et de l’Espace faisait partie de la saison du musée de l’Armée. Sa programmatrice, Christine Hellfrisch, entretient depuis 30 ans la flamme des Invalides avec une probité, un enthousiasme et une pertinence admirables. L’invité de ce soir était un des orchestres de nos armées. Outre leur rôle dans les cérémonies et les événements officiels, ils sont dépositaires d’une mission plus subtile : incarner en musique les valeurs militaires. Il en a résulté un paradoxe : alors que le duel est le thème de cette saison et de l’exposition qui ouvrira le 24 avril, ce concert a illustré l’inverse : la cohésion.
À voir également : L'interview perchée de François Salque aux Invalides
En musique, les duos et les concertos tournent parfois au duel. Après l’extrait de la suite que Leoš Janáček a tirée de son opéra Tarass Boulba, allions-nous être témoins de l’un d’eux dans le Concerto pour deux clarinettes de Franz Krommer ? Une chaise au sein de l’orchestre était vide, celle d’Ann Lepage, ancienne élève de Philippe Berrod au Conservatoire national supérieur de Paris, 2e prix du prestigieux Concours Carl Nielsen au Danemark, et belle illustration de l’excellence de l’école française de vents : pour le temps de ce concerto, elle avait rejoint Paul Meyer, la vedette de la soirée. Complicité des deux solistes, virtuosité dominée, précision, beau son, on eut affaire à un vrai duo. Avec l’orchestre aussi, entente parfaite, qui mit en valeur cette belle œuvre à mi-chemin entre Mozart, Haydn et Beethoven : 1er mouvement au souffle long, 2e mouvement préromantique et final à la fois galant et virtuose.
Musiciens dans le vent
La Suite balkanique de Janko Nilovic, œuvre initialement écrite pour des trombones, a bénéficié de la transcription (par Claude Pichoreau) pour orchestre à vents et 4 percussions. Les 7 mouvements contrastés sollicitent la virtuosité collective, mais le défi a été relevé haut la main. À l’évidence, voilà des musiciens qui s’écoutent, comme en témoignent les sourires qui circulent parmi eux. Leur chef, le colonel Claude Kesmaecker, est de la partie : précis, charismatique, sachant à la fois faire jouer et laisser jouer, quittant un instant son podium pour solliciter d’un pupitre la nuance qu’il désire. Et le résultat est là : l’orchestration reste audible malgré l’acoustique, la pâte sonore, les couleurs et les phrasés nous régalent.
Vent de l’Histoire
L’autre pièce maîtresse du programme était Un Voyage extraordinaire (d’après Jules Verne), rhapsodie pour clarinette et orchestre d’André Chpelitch, qui fut trompette solo de l’orchestre de Paris. Ces 6 mouvements qui s’enchaînent sans pause portent bien leur nom, avec leurs multiples rebondissements. Certes, on frise parfois la grosse cavalerie d’un film de propagande soviétique, mais l’intensité dramatique convoque les mânes de Chostakovitch. En ces lieux, à ces sons épiques, comment ne pas penser à la guerre en Ukraine ? Il s’agit aussi d’un concerto qui offre au soliste deux cadences. La première, qui ouvre le cycle, jouée en coulisse, a empli somptueusement la nef, les voûtes et les oratoires ; la seconde, en rythmes irréguliers, était époustouflante : Paul Meyer dirige des orchestres partout dans le monde, et comme titulaire à Mannheim, mais il reste le soliste superlatif qu’on connaît : ampleur, pureté et richesse du son ; autorité, noblesse et clarté ; rien n’est petit, tout est dominé, c’est Apollon.
Un Apollon qui aurait troqué la flûte d’Athéna et de Marsyas contre une clarinette de la manufacture Buffet-Crampon. Au sein d’une industrie française qui a réduit de moitié en 30 ans, le leader mondial de la facture d’instrument à vents tient bon. Son directeur, M. Jérôme Perrod, assistait au concert : le soliste est aussi un de leurs « essayeurs », si bien que plusieurs modèles phares ont vu le jour grâce à ses conseils : la Divine (qu’il jouait ce soir-là), la Légende, la Tradition, la Tosca…
Bien équipés, dans un juste équilibre entre tradition et modernité, entre brillance et humilité, entre autorité et complicité, la Musique de l’Air et de l’Espace, le Colonel Kaesmaeker, Ann Lepage et Paul Meyer continuent de faire flotter la bannière… au vent !
Demandez le programme !
- L. Janáček – Tarass Boulba (d’après Gogol), extraits
- F. Krommer – Concerto pour deux clarinettes et orchestre, opus 35 n°1
- J. Nilovic – Suite balkanique, pour orchestre
- J. Williams – Viktor’s Tale, pour clarinette et orchestre, du film The Terminal (Spielberg)
- A. Chpelitch – Un Voyage extraordinaire (d’après Jules Verne), rhapsodie pour clarinette et orchestre