AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - InstrumentalLa cinquième de Mahler à Nice : les cinq sens d'Yves Abel

La cinquième de Mahler à Nice : les cinq sens d’Yves Abel

CONCERT – L’Opéra de Nice offre un concert symphonique entièrement constitué par ce grand quinquennat qu’est la cinquième symphonie de Mahler aux cinq mouvements intensément évocateurs. À la baguette, Yves Abel, totalement connecté à la synesthésie créatrice du compositeur, en exacerbe conjointement le langage, la forme et la couleur.

Champ de fleurs, champ de bataille

Le chef se montre concentré physiquement à l’exact point de contact de sa baguette, afin d’en faire un levier puissant, capable de soulever les montagnes du Grand Œuvre. Son index gauche pointe telle ou telle fleur sauvage, tel ou tel militaire discipliné, qui parsèment le champ orchestral de Mahler. Avec Yves Abel, la direction devient un geste d’écriture ; le compositeur, lui-même grand chef, est montré comme écrivant depuis sa baguette. Sa gestique impeccablement géométrique, est en prise directe avec les idées thématiques qu’il s’emploie à éclairer et opposer, situant son regard, son oreille, voire l’ensemble de ses sens, jusque dans le cœur intime des pupitres. L’adagietto si lyrique apporte son frisson, claire mélodie de registres cordes à cordes à fleur de peau. La paume gauche du chef se tient ouverte vers son cœur. 

L’orchestre, en large éventail est particulièrement attentif, prêt à dégainer ses archets, ses embouchures et ses mailloches sous la dictée rythmico-expressive de son chef. Les rubans délicats des cordes aigues ou déclamés des cordes graves s’opposent aux puissants appels des cuivres, ainsi qu’aux broderies de la petite harmonie. La ligne fournie des percussions produit le liant vibratoire profond par lequel Mahler ancre sa musique dans la terre. Une colonne d’émotions se met en route, à la faveur des oppositions thématiques, chaque émotion entrainant une autre à sa suite.

L’apothéose de la fugue

Le chef, après avoir fait de sa direction un point d’ancrage, en fait également un point d’envol, les deux forces étant maintenues conjointement. Tantôt il pétrit la matière selon un mouvement rotatif quasi industriel, tantôt il la projette, comme le ferait Jackson Pollock sur sa toile.

Ses micro-gestes font alors sourdre des fanfares fragiles et solitaires, autant de petits kiosques à musique dont le souvenir remonte à l’enfance et qui sont insérées dans les trames complexes de la musique. Plus loin, ce sont des valses tristes et usées, celles d’un Empire Austro-Hongrois décadent, matériaux progressivement vivifiés par les renforts des alliages modernes. Ailleurs encore, la texture ne tient plus que par le fil du timbre, que le chef, quels que soit les aléas, maintient à la pointe de sa baguette. L’un des ouvrages le plus à même d’unifier cette trame profuse est le contrepoint, la fugue, la strette, obsessions virtuoses du compositeur qui se dissimulent derrière le scintillement instrumental. La manière qu’a le chef de la combiner à la danse rappelle l’origine de la musique instrumentale, ce fameux appairage entre le prélude et la fugue, que le compositeur acclimate à la grande symphonie post-romantique.

À lire également : La magie, de Mahler à Potter

La phalange des cordes s’enroule autour des aspérités contondantes des cuivres et des percussions et devient le socle des tutti en apothéose, accompagnant leur dégringolade, leur délitement, quand le compositeur se met à douter du bonheur. Comme par miracle, l’hyper-grave du tuba s’allie au pizzicato suraigu de la harpe. Dans le dernier mouvement, l’entrelac est à son comble, le chef obtenant de chaque membre de l’orchestre une concentration, une détermination de surhomme. Il s’agit d’absorber les réminiscences du thème de l’adagietto, pour le redéployer dans un univers plus large et lointain. Celui crée par Mahler, et cartographié par Yves Abel.

- Espace publicitaire -
Sur le même thème

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

- Espace publicitaire -

Vidêos Classykêo

Articles sponsorisés

Nos coups de cœurs

- Espace publicitaire -

Derniers articles

Newsletter

Twitter

[custom-twitter-feeds]