TRILOGIE – Après le Couronnement de Poppée et l’Orfeo, Leonardo Garcia Alarcon et la Cappella Mediterranea achèvent avec éclat leur Odyssée Monteverdi avec Le Retour d’Ulysse dans sa Patrie, présenté au Théâtre du Jeu de Paume dans le cadre du Festival International d’Aix-en-Provence.
Audi, à 3
Directeur du festival d’Aix-en-Provence, Pierre Audi a voulu revenir à ses débuts, avec l’œuvre de ses débuts de metteur en scène, à l’Opéra d’Amsterdam en 1990. Ça nous rajeunit pas… Son approche du Retour d’Ulysse dans sa Patrie est d’abord plastique : vision onirique, décor sobre et dépouillé, merveille de lumière et génie du costume dont chacune des tenues définit à la fois la position sociale et le caractère propre de son personnage.
Côté psychologique, Pierre Audi, en lien avec ses collaborateurs et son dramaturge Klaus Bertisch, donne pleinement corps et vie à chaque personnage, qu’il soit « important » ou non. La direction d’acteurs très précise ne laisse aucune place à l’approximation, tout en laissant à chaque chanteur le soin de s’exprimer dans un souci total de vérité et d’émotion. Pénélope occupe la scène de toute la hauteur de sa fonction de Reine d’Ithaque qui attend le retour d’Ulysse et de Télémaque.
Les temps forts : papa ou t’es ?
Beaucoup de scènes esthétiquement superbes restent en tête en tête à l’issue de la représentation :
- La reconnaissance bouleversante d’Ulysse et de Télémaque
- La grande scène réunissant Pénélope et ses prétendants qui viennent la couvrir de cadeaux
- La révélation d’Ulysse de mendiant à roi D’Ithaque après l’épisode célèbre de l’arc tendu, finissant sur le massacre des prétendants ici réglé avec maestria.
Les interventions de la Déesse Minerve apparaissent dans toute leur importance, tandis que celles du Glouton Iro, sorte de figure bouffe ici habillé tel un fantôme, traduisent bien sa folie et sa dépendance aux autres. La scène finale qui voit la réunion des deux époux est un sommet dans l’art du duetto de Monteverdi avec cette apothéose de l’amour tout en noblesse et en spiritualité partagée. Cette partition recèle décidément bien des merveilles et des moments de poésie pure.
Voix par voix : on a pourtant bien cherché les défauts…
- L’Ulysse du baryton John Brancy, à la plastique avantageuse de lutteur, déploie une impressionnante forme vocale, avec un legato assuré et toute la souplesse requise dans la ligne de chant qui magnifie le rôle. Il est aussi crédible en vieillard courbé et revêtu d’une peau de bête qu’en Roi glorieux revenu de 20 ans d’errance.
- La mezzo-soprano Deepa Johnny, dresse un portrait glorieux de Pénélope d’une voix pénétrante et assurée sur toute son étendue.
- Le jeune ténor Anthony Leon impose un Télémaque vocalement radieux tandis que le ténor Mark Milhofer confère au berger Eumée, gardien fidèle du souvenir de son maître Ulysse, une humanité profonde et décisive.
- La riche voix de basse aux graves caverneux d’Alex Rosen sied tout particulièrement au Dieu des mers Neptune, tandis que Paul Antoine-Bénos-Djian s’illustre dans plusieurs rôles successifs d’une voix de contre-ténor qui continue à s’élargir sans perdre sa luminosité et son caractère.
- Mariana Flores incarne l’Amour et la Déesse Minerve avec le talent qu’on lui reconnait, tandis que les impeccables Petr Nekoranec et Joel Williams interprètent les rôles de Pisandro et Eurymaque
- Guiseppina Bridelli complétant le plateau, fort convaincante au demeurant en la suivante Mélanthe qui tente vainement de faire fléchir Pénélope ancrée dans ses résolutions.
- Enfin, Ilo est plus qu’incarné par le ténor Marcel Beekman méconnaissable et doté d’une verve comique accomplie. Son chant de désespérance lorsqu’il apparaît dans son costume blanc maculé du sang de prétendants, même s’il pleure sur lui-même et sur son devenir incertain, est bouleversant.
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Dans la continuité des précédents volets, et plus encore si c’était possible, Leonardo Garcia Alarcón déploie avec faste les facettes de la musique de Monteverdi, avec une énergie constante. La passion du chef ruisselle sur tous les instruments de la Cappella Mediterranea, des cuivres aux violons, du cornet à bouquin aux violes de gambe et autres harpe ou clavecin. Le chef transporte sur ses solides épaules cette partition qu’il fait vivre et vibrer ! Un triomphe absolu est venu fêter cet Ulysse de retour dans son île d’Ithaque.