DANSE – La chorégraphe portugaise Tânia Carvalho et le Tanzmainz nous invitent à vivre une expérience très spéciale au Théâtre de la Ville : un very bad trip où les danseurs, aussi techniques soient-ils, semblent être sous acide et où la musique fait souffrir nos tympans. Préparez vos cachets si vous voulez passer un bon moment.
Un tableau onirique entre rêve extraterrestre et cauchemar se déploie sous nos yeux : des créatures incongrues venues probablement d’une autre planète, émergent dans un épais brouillard. Elles sont vêtues de justaucorps jaunes pâle, couleur de lumière, barbouillés de tâches bleues. Les costumes de Lucia Vonrheim avec ces culottes bouffantes mêlant influence baroque et années 90 accentuent l’atmosphère d’un carnaval macabre et soulignent l’esthétique unique de l’univers de la chorégraphe portugaise, Tânia Carvalho, spécialiste des univers hybrides : burlesque, horrifique, clownesque. Elle signe avec Mysterious Heart une nouvelle création aussi malaisante que fascinante.
Tympan – pantin
La musique (ou plutôt la création sonore) de Diego Alvim, un mélange de partition électro-acoustique et de sons organiques accompagne à merveille l’atmosphère trouble de la pièce. Des aigus perçants côtoient des airs de clavecin, tandis que des cris sourds semblent émerger des tréfonds de l’inconscient des danseurs. Cette partition ne se contente pas d’accompagner la chorégraphie : elle nous plonge dans cette atmosphère oppressante, amplifiant un sentiment de malaise chez le spectateur. La voix de Tânia Carvalho, la chorégraphe elle-même, vient ponctuer la pièce de façon totalement improvisée. Surgissant au gré des différents tableaux, ces interventions vocales sont des décharges émotionnelles, achevant de nous immerger dans ce bain sonore oppressant.
Caméléons bariolés
Après avoir travaillé avec la Companhia Nacional de Bailado du Protugal et le Ballet National de Marseille, dans sa nouvelle pièce « Mysterious Heart », Tânia Carvalho dirige avec brio onze danseurs de la compagnie Tanzmainz, ensemble de danse contemporaine du Théâtre d’État de Mayence en Allemagne, leur faisant exprimer toute la palette des émotions humaines. S’appuyant sur une solide base de danse classique avec des arabesques, entrechats ou grands battements impeccables, les danseurs livrent une performance théâtrale intense où leurs corps se contorsionnent, leurs visages barbouillés de peinture bleue grimacent avec des yeux exorbités. Ils se donnent à fond.
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Chaque geste, chaque expression, chaque mimique est une invitation à plonger dans la fameuse série de dessin à l’encre, « Expressions des passions » de Charles Lebrun, le peintre de Louis XIV, qui étudiait les effets des émotions sur l’expression faciale. Tânia Carvalho signe une œuvre singulière d’une rare intensité où chaque danseur devient le véhicule d’une émotion à l’état brut. La danse devient alors un véritable langage des passions et un terrain de jeu pour ses interprètes qui peuvent exprimer leurs individualités dans une œuvre collective.
En eaux profondes
Que retenir de ce spectacle déroutant ? Un bad trip collectif sous psychotrope, une soirée arrosée qui dérape, un cauchemar éveillé, ou les affres de la folie douce dans un asile psychiatrique ? Difficile de dire. Chacun y verra ce qu’il veut y voir. Sans aucun fil conducteur, la pièce nous égare dans un labyrinthe mental peuplés d’esprits très perturbés. Ce qui est sûr c’est que cette pièce nous entraîne non pas au bout de la nuit mais au cœur de l’horreur où les cauchemars les plus fous prennent vie. Perruques de sorcières, ongles crochus, atmosphère oppressante, on est plus proche d’un épisode de « American Horror Story» que d’un gentil conte de fées à la Disney. Un univers malaisant mais fascinant, où l’on se sent pris au piège, comme dans un mauvais rêve. Bref on dira que c’était une expérience déconcertante de 55 min à vivre au Théâtre de la Ville et qui a le mérite de questionner notre rapport aux émotions les plus enfouies.
Spectacle donné au Festival Cadences d’Arcachon le21 septembre.
Création très originale, mais pas facile.
Sentiment de malaise pendant le spectacle. On pense à l’Apocalypse, à l’Enfer de Dante, à Munch, à Jérôme Bosch.
On sort en pensant qu’on a détesté.
Mais en y réfléchissant, c’est une création vraiment intéressante.
À ne pas voir si on est en dépression !