COMPTE-RENDU – La Fille du Régiment de Donizetti, dans la production signée Laurent Pelly, dresse de nouveau son camp à l’Opéra Bastille, sous la direction d’Evelino Pidò avec Julie Fuchs et Lawrence Brownlee :
Rataplan, rataplan, la grande famille du régiment !
Mais quelle histoire que celle imaginée de toute pièce par les librettistes Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jean-François Bayard : une enfant, Marie, abandonnée par sa mère est recueillie et adoptée par un régiment tout entier. Ajoutez à cela une histoire d’amour entre la jeune fille et un tyrolien du camp ennemi et la rencontre avec la Marquise de Berkenfield qui serait la mère de Marie, de quoi alimenter les magazines people en plus du livret de l’opéra de Donizetti.
Rataplan, rataplan et cocorico !
Rarement roulements de tambours n’ont été si joyeux, et ce grâce à la mise en scène drôle et enlevée de Laurent Pelly. Menée tambour battant, cette production n’a pas pris une ride depuis sa création en 2007. Les personnages ont chacun une corporalité bien définie et il y a du Sophie de la Comtesse de Ségur et du Fifi Brindacier (avec sa queue de cheval rebiquant) dans le personnage de Marie. Sulpice joue de sa corpulence et Tonio, quant à lui, déploie une énergie aussi grande que son désir de s’unir à Marie.
Les gags et les situations cocasses s’enchaînent moquant l’esprit cocardier qui s’invite épisodiquement dans le livret : comme par exemple avec ce défilé de caleçons sur un fil à linge pendant un « Rataplan » plein de verve ou encore, la descente des cintres d’un tableau représentant un coq pendant le finale « Salut à la France ! », et c’est même son chant qui aura le dernier mot.
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Rataplan, rataplan, morbleu et corbleu !
Laurent Pelly est entouré d’une troupe de fidèles collaborateurs : Agathe Mélinand remanie les dialogues tout en conservant les caractéristiques de chaque personnage. Ainsi Marie et Sulpice jurent-ils très régulièrement alors que la Marquise et la Duchesse manient un langage châtié, le comique provenant de la rencontre de ces deux mondes.
Chantal Thomas signe les décors, à savoir des montagnes de cartes d’états-majors servant de support aux protagonistes, qu’ils soient sur un champ de bataille ou dans un camp militaire.
Les chorégraphies de Laura Scozzi revigorent joyeusement les moments de chœur et, même si ce n’est pas Broadway, les chanteurs allient leurs voix et leurs pas de danse dans des ensembles réjouissants. La comédie musicale s’invite cependant subrepticement sous les lumières de Joël Adam, au moment où les trois protagonistes chantent leur joie d’être réunis, dans une scène rappelant le célèbre « Good morning » extrait de Singing in the rain.
Rataplan rataplan et cuicui les p’tits oiseaux !
Des aigus en veux-tu en-voilà jalonnent la partition de Donizetti, ce qui n’effraie aucunement ni Julie Fuchs ni Lawrence Brownlee. La soprano surfe sur les vocalises et les trilles avec facilité et beaucoup d’esprit. Si son chant n’impressionne pas question décibel, la voix est parfaitement centrée ce qui l’autorise à projeter des contre-uts tout en étant portée à bout de bras par des soldats du régiment.
Question contre-ut, le ténor est servi. Le fameux air « Ah mes amis, quel jour de fête ! » en comporte neuf d’affilée. Campé solidement, il les projette sans sourciller, recevant l’acclamation du public au garde à vous sans pour autant contenir sa joie.
Entre deux rataplan s’immiscent des pages d’un doux lyrisme mettant en valeur le phrasé touchant des deux protagonistes. Si Marie tient des propos bruts de décoffrage, elle n’en a pas moins un cœur qui bat aussi fort que les roulements de tambour.
Celui qui détient la médaille des rataplan est Lionel Lhote dans le rôle de Sulpice. Sa voix profonde et sonore de basse est aussi solide que son engagement militaire. Il peut, cependant, déroger à la règle, en perturbant la leçon de chant de Marie en soufflant des rataplan malicieux.
L’américaine Susan Graham et l’anglaise Felicity Lott semblent tout droit sortir de la série Downton Abbey. Dans les traces de l’actrice Maggie Smith (récemment disparue), Felicity Lott déclenche les rires du public dès son entrée dans le rôle ridiculement digne de la Duchesse de Crakentorp (rôle essentiellement parlé). Susan Graham incarne la Marquise de Berkenfield et, si son personnage est bousculé de toute part, sa voix reste incarnée et précise.
Son intendant, Hortensius, est interprété honnêtement par le baryton Florent Mbia qui est membre de la Troupe lyrique de l’Opéra national de Paris.
Rataplan plan plan plan plan…
frappe le public debout en réservant une salve spéciale pour Julie Fuchs et Lawrence Brownlee.