DISQUE – C’est en plein confinement que le chef Julien Salemkour enregistre cette Elektra de Strauss pour le label Solo Musica. Une version qui souffre forcément un peu de ses conditions d’enregistrement, mais qui n’en a pas moins de l’intérêt et une distribution très bien choisie.
On croyait le temps du Covid définitivement enseveli ; et pourtant, voici que le label Solo Musica en exhume une Elektra, réalisée dans des conditions particulièrement inhabituelles.
Dispositif hors-norme, pour Elektra hors-scène
Contraints par les confinements et restrictions sanitaires, il faut imaginer des musiciens qui ont d’abord enregistré les parties d’orchestre, avant que les chanteurs n’y posent leur voix : certainement pas des conditions idéales, notamment parce que l’orchestre paraît toujours un peu en retrait. Cela permet au texte et au chant d’être toujours audibles, mais cela manque parfois de déploiement orchestral, de respiration aussi, et de ce qui fait un peu de la furie du personnage principal. Cette Elektra est en revanche donnée dans sa version intégrale, ce qui est un excellent point pour elle dans la discographie. Mais maintenant que les temps du Covid nous semblent loin, ces conditions d’enregistrement apparaissent davantage comme un frein que comme un tour de force technique.
La mort aux temps du Covid
À en croire le livret accompagnant l’album – attention, réservé aux germanistes, n’ayant pas été traduit ! –, ce qui intéresse le plus le chef Julien Salemkour dans l’œuvre est sa dimension psychanalytique. Il a choisi Barbara Krieger pour être son Elektra, celle qui analyse les rêves de Clytemnestre, qui idéalise son père Agamemnon, qui creuse sans relâche pour retrouver l’arme du crime. À moins que ce ne soit la vérité qu’elle veuille déterrer… Si la voix est d’abord un peu voilée, elle gagne progressivement en brillant : on a connu des Elektra plus bestiales, d’autres plus retorses, et celle-ci est davantage dans le texte, prête à surgir de l’ombre, mais capable aussi de distance, de cynisme et avec ce je ne sais quoi dans le timbre de tendu et d’inquiet. Au contraire, l’Oreste revenu d’entre les morts de Jochen Kupfer est d’une solidité et d’un rayonnement parfaits, et la Klytemnestre de Sanja Anastasia, qui s’apprête à mettre un pied dans la tombe, en a déjà les couleurs sombres, auxquelles elle ajoute une part de séduction du personnage.
Clair (très) obscur
Ce qui est peut-être le plus surprenant à l’écoute, est que l’orchestre se révèle surtout dans les pages lumineuses de l’œuvre, et pas dans les grands effets dramatiques. Est-ce une conséquence de cet enregistrement « karaoké », et la volonté de ne pas prendre le pas sur le chant ? C’est très possible, car dans les dernières pages, lorsque le chant est absent, Julien Salemkour s’en donne à cœur joie. Mais l’air de Chrysothémis, avec l’enthousiasme qui s’en dégage, ou encore l’extase finale d’Elektra, restent les moments les plus riches de couleurs et de timbres, dans une direction autrement contrainte à renoncer à du rubato ou à certains emportements théâtraux, que seul le live peut procurer. Astrid Weber (Chrysothémis) et Sotiris Charalampous (Egisthe) sont les seules voix à apporter de la lumière dans la tragédie, au sein d’une distribution très bien choisie pour ses timbres – qui décrivent immédiatement le personnage à l’écoute – et qui n’est pas écrasée par la difficulté extrême de la partition.
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Un enregistrement qui n’est pas idéal, mais qui reste de grande qualité pour ses conditions de réalisation. Une version d’Elektra peut-être même très adaptée au disque, puisqu’elle laisse davantage le texte se déployer et donne une grande lisibilité à la partition. En espérant que, les confinements définitivement morts et enterrés, cette Elektra soit leur ultime testament.
Pourquoi on aime ?
- Parce que la partition est donnée dans son entier, sans coupes
- Parce que les timbres sont très bien choisis pour caractériser les personnages à l’écoute
- Pour la lisibilité de l’ensemble, les voix n’étant jamais écrasées par l’orchestre
C’est pour qui ?
- Pour ceux qui veulent retrouver l’œuvre intégrale
- Pour les amoureux du texte d’Hofmannsthal, particulièrement lisible dans cet équilibre orchestre/voix

