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Sibylle(s) par La Tempête : un présent à réparer

CONCERT – Le 24 mai 2025, l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet a été le théâtre d’une traversée collective portée par la compagnie La Tempête, dirigée par Simon-Pierre Bestion. Le spectacle Sibylle(s), n’est ni un opéra, ni un concert, ni une pièce de théâtre. Il est tout ça à la fois, et plus encore : un rituel en acte, une invocation plurielle où les voix anciennes croisent les blessures modernes dans un espace à réenchanter.

Avant même le premier son, la salle est plongée dans le noir complet. Un silence dense s’installe, qu’aucun smartphone n’ose briser. Les artistes entrent par les allées, procession lente et suspendue. Dans cette obscurité d’écoute, chaque frottement, chaque souffle devient matière sensible. On comprend immédiatement que l’on n’assistera pas à une simple représentation, mais à une forme de rite partagé.

Un plateau, une pensée en mouvement

La scénographie est l’un des grands gestes de ce spectacle. Au centre : un carré de sable noir sur fond blanc, écho inversé à Malevitch, qui se désagrège lentement au fil des passages, malmené, creusé, retourné, avant d’être rassemblé avec soin à la fin. Un travail presque liturgique, qui suggère l’acceptation et la réparation.

© François Le Guen

Autour de cette matière mouvante : des poteries en terre cuite, une structure noire suspendue de rideaux, et un dispositif de machinerie aussi ingénieux que discret, qui fait descendre les partitions sur des planches suspendues à des moments-clés. Un défi scénographique aussi millimétré que poétique. Tous les artistes sont pieds nus, sans hiérarchie visible, dans des costumes sobres répartis en blancs, noirs et chairs, du clair au foncé. Chanteurs, comédiens, instrumentistes, parfois danseurs : aucun rôle n’est figé, et c’est bien là l’essence du projet.

La lumière, elle aussi, est vivante. Parfois franche, parfois brumeuse, elle épouse les corps plus qu’elle ne les éclaire. Seul bémol : une utilisation un peu excessive de la fumée, dont l’effet mystique s’émousse à force de persistance.

Un chœur d’époques et de styles

Côté musical, Sibylle(s) joue la carte du télescopage fécond. Les œuvres de Monteverdi, des chants traditionnels méditerranéens, mais aussi Xenakis, Ferneyhough, ou encore une création de Zad Moultaka : autant de fragments que le spectacle ne cherche pas à faire fusionner, mais à faire dialoguer.

© François Le Guen

Les voix se superposent, se frottent, se fuient. L’équilibre entre celles-ci et les instruments n’est pas toujours parfait, mais ce déséquilibre fait parfois partie du jeu, comme une métaphore de la diversité des langages convoqués. On admire surtout la variété des formations musicales proposées, et la richesse colorée de ces assemblages inattendus.

Une scène chorale, sans solistes ni héros

Pas de performance individuelle à retenir, et c’est bien ainsi. Le parti pris est clair : Sibylle(s) efface les hiérarchies, pour mieux faire entendre une parole multiple, traversée d’histoires, de gestes et de mémoires. Tous participent, tous transmettent. Le spectacle fonctionne comme une communauté vivante, à la fois fluide et ancrée, où les rôles se déplacent et les corps racontent autant que les voix.

© François Le Guen

Car Sibylle(s) n’a pas pour ambition d’illustrer une époque révolue, ni de rejouer des prophéties anciennes. Il s’agit de questionner leur place dans notre présent : que faire des oracles d’hier ? Quelles voix écoutons-nous encore ? Et surtout : qui seront les sibylles de demain ?

Le spectacle pose la question, sans répondre à notre place. Le fameux « livre des sibylles » (Libri Sibyllini) que l’on convoite sur le plateau n’est pas là pour être lu, mais pour être écrit collectivement. Par nous. Aujourd’hui. Avec ce que nous avons, ce que nous sommes, ce que nous avons blessé et que nous tentons de réparer.

Le public, silencieux, attentif, capté, semblait faire partie de la cérémonie. La mise en scène l’y conviait d’ailleurs implicitement, en investissant l’espace de la salle jusque dans les corbeilles. L’accueil final fut chaleureux, mais recueilli, comme si les spectateurs hésitaient encore à briser ce qu’ils venaient de traverser.

À lire également : Nocturne : les Vêpres radicales de la Tempête

Verdict : un chant pour demain

Ce n’était pas un concert. Ce n’était pas une pièce. Ce n’était pas un poème : c’était une tentative, belle et grave, de faire cohabiter les temps et les voix, de penser collectivement notre rapport au passé pour mieux, peut-être, habiter l’avenir.

Et si les sibylles étaient encore parmi nous, elles chanteraient sans doute quelque chose qui ressemblerait à cela.

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