FESTIVAL – Le Festival d’Opéra Rossini de Pesaro présente une Italienne à Alger « queer » dans une mise en scène haute en couleur signée Rosetta Cucchi. Dmitry Korchak dirige l’Orchestre du Théâtre communal de Bologne et le chœur du Théâtre Ventidio Basso, Daniela Barcellona dans le rôle titre, digne d’une artiste du cabaret de Madame Arthur.
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Il va y avoir du drag ! Le ton est donné bien avant le début de l’opéra, dans la rue, sous l’œil amusé des spectateurs et des passants. Un groupe de drag queens sort d’un mini van bariolé et entame une danse sur la chanson d’Abba « dancing queen » (ambiance Priscilla folle du désert). Une troupe de carabinieri sort du théâtre et tente de les arrêter, provoquant un sacré remue-ménage. Tout ce monde est emmené à l’intérieur, et réapparaît sur scène au moment de l’arrivée d’Isabella, qui n’est autre que la meneuse de la troupe.

Style « camp »
L’art scénique des drag queens et leur style « camp » (exubérant et ironique) prend toute sa place dans cet opéra bouffe à l’histoire loufoque et à la musique débridée. Calypso Fox, Elektra Bionic, Ivana Vamp et Maruska Starr sont irrésistibles dans les séquences comiques de dévoiement des soldats ou d’animation d’une séance de remise en forme. Si ce style est amené par la présence des quatre drag queens, il est également contenu dans le livret: les deux scènes d’intronisation de Taddeo en « kaimakan » et de Mustafa en « papatacci » sont surréalistes et hilarantes. La partition de Rossini atteint également des sommets de folie et de drôlerie notamment lorsque les chanteurs se mettent à débiter des onomatopées abracadabrantes sur une mécanique rythmique implacable.
L’art du travestissement, qui a toute son importance dans les performances théâtrales des drag queens, apparaît ici comme le moteur de la mise en scène de Rosetta Cucchi qui impose un habillage-déshabillage incessant des personnages. En grande intelligence et dans un dosage savant, l’action est constamment animée et les chanteurs se délectent dans un jeu truculent et jamais vulgaire. Le décor en mezzanine participe à cette animation en permettant le déroulement de plusieurs actions conjointement. Les intentions théâtrales font mouche, notamment lorsqu’elles s’appuient sur la musique de Rossini. Mustafa déclenche les rires du public lorsque son « papataci ! » devient un cri de douleur dû à l’épilation du torse qu’il est en train de subir pour son intronisation.
Slay queen !
L’idée originale de la mise en scène est d’avoir transformé le personnage d’Isabella en drag queen induisant plusieurs couches de travestissement et de changements de genre, ce que Daniela Barcellona endosse avec panache. Isabella est à l’origine un personnage féminin. Ici c’est un homme chanté par une femme, qui se trouve jouer elle-même un homme dans son personnage de drag queen… vous suivez ? Sa haute stature, sa prestance et son aisance théâtrale campent un personnage puissant. Sa voix assume les acrobaties de la partition dans une virtuosité impressionnante et son registre de poitrine développé accentue l’ambiguïté des genres. Elle recueille des salves d’applaudissements après chacun de ses airs: « yas queen ! »

Drôles de drags
- Si Mustafa est un personnage loin d’être déconstruit, la voix de Giorgi Manoshvili qui interprète le rôle est heureusement solidement construite, elle. La projection est assurée du haut en bas et la truculence du jeu est irrésistible, qu’il se transforme en loup de Tex Avery à la vue d’Isabella ou qu’il s’essaie aux postures dictées par les drag queens.
- Misha Kiria est un Taddeo de haut vol de par sa voix résonnante et sa diction exemplaire et de par son jeu débridé qu’il assume dans une tenue rose digne de carnaval.
- Josh Lovell incarne Lindoro vaillamment, son attention constante à projeter sa voix entraînant cependant quelques raideurs et imprécisions. Sa présence énergique donne du peps à ce personnage d’amoureux … pas que transi.
- Gurgen Baveyan est un Haly dont la voix, bien que précise et timbrée, semble plus délicate comparée à ses partenaires. Les quatre drag queens se joignent à lui dans un joyeux numéro de lip-sync ( synchronisation des lèvres sur une chanson) sur l’air « les femmes d’Italie sont effrontées et rusées », une poursuite lumineuse orientée vers la salle participe malicieusement au burlesque.
- Vittoriana De Amicis prête sa voix quelque peu pointue mais néanmoins bien définie au rôle d’Elvira. Elle joue à merveille la transformation de son personnage de la femme soumise et tristounette en maîtresse femme SM, cuir et chaînes à l’appui.
- Sa confidente Zulma est interprétée par Andrea Niño, dont la voix est aussi richement colorée que ses cheveux lorsqu’elle laisse tomber les bigoudis.

Droits LGBTQ+
Sans être un spectacle militant, les droits des personnes LGBTQ+ sont cependant évoqués, par les couleurs des décors et des costumes, toutes issues du drapeau arc-en-ciel, ainsi qu’au cours d’une séquence émouvante : Lorsqu’ Isabella chante « pense à notre patrie…vois, dans toute l’Italie, refleurir des exemples de courage et d’audace », des vidéos historiques de défilés de la Gay Pride et d’arrestations de drag queens sont projetées en arrière-plan.
Féminisme, même combat ?
Le livret d’Angelo Anelli a cette originalité que c’est Isabella, une femme, qui vient délivrer son amant et non l’inverse. Mais si Isabella est un personnage de drag queen qui se révèle finalement être un homme, c’est encore au genre masculin qu’échoue le rôle de sauveur ! Cependant, la mise en scène accorde une place de choix aux deux personnages féminins, par une présence quasi constante sur scène et une évolution qui les extrait de leur soumission.
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Si le chef d’orchestre Dmitry Korchak (qui est également un ténor talentueux) n’obtient pas l’approbation de tout le public, les artistes sont vivement applaudis: Yaasss!

