AccueilA la UneZelmira à Pesaro, rôle sur mesure pour prima donna

Zelmira à Pesaro, rôle sur mesure pour prima donna

COMPTE-RENDU – Que dirait la muse de Rossini si elle savait qu’un Festival rend hommage chaque année à son mari en sa ville. À peu près ceci, sans doute :

Je m’appelle Isabella Colbran mais très bientôt je prendrai le nom de Rossini. Surnommée le rossignol noir, je suis chanteuse, prima donna du Théâtre San Carlo à Naples. Grâce à ma voix dont la tessiture s’étend sur trois octaves, on me demande pour les plus grands rôles dramatiques : Spontini m’a ainsi confié sa Vestale. Mais c’est surtout mon Gioachino (Rossini) qui m’écrit mes meilleurs rôles : il m’en a déjà offert plusieurs, des héroïnes au destin marquant (Elisabeth d’Angleterre, Armida, Ermione…).

Comme nous allons bientôt nous marier, le maestro m’a proposé comme cadeau d’interpréter un nouveau rôle dans l’un de ses opéras qui sera prochainement donné au San Carlo. Comme je ne sais pas lequel choisir, nous partons en voyage à Pesaro, sa ville natale où sont jouées tous les ans au théâtre de la ville plusieurs de ses œuvres, mon Gioachino étant un compositeur à succès.

Nous commençons par L’Italienne à Alger : certes, le caractère d’Isabella me conviendrait mais cette mise en scène de Rosetta Cucchi dans laquelle l’héroïne devient un homme déguisé en femme avec un accoutrement excentrique, ce n’est vraiment pas pour moi, je n’aime pas les rôles de travesti, qui nous prennent nos emplois !

Gioachino me propose alors La cambiale di matrimonio (« Le contrat de mariage » comme vous diriez, j’espère d’ailleurs qu’il ne m’en a pas prévu un de la sorte) : la mise en scène me plaît bien, la distribution est de qualité mais franchement, le rôle de Fanny est beaucoup trop court et cela reste toujours du bouffe ! Je préfère l’opera seria.

Sans se décourager, mon futur époux me convie au Voyage à Reims. Drôle de titre… je ne sais même pas où se trouve cette ville. En France, si je comprends bien l’intrigue. Beaucoup de rôles féminins, une comtesse, une marquise, une romaine mais aucune ne se démarque et ne correspond vraiment à ma tessiture ! Et décidément, Gioachino ne comprend rien : je veux un rôle sérieux, un rôle de prima donna où je serai une héroïne à part entière (je n’aime pas partager) avec un lieto fine car je déteste mourir sur scène.

Gioachino ne baisse pas les bras : « tu veux un rôle fort, une mise en scène stupéfiante, des partenaires à ta hauteur, alors je vais te faire une dernière proposition ; un opéra que je viens juste d’achever en pensant à toi et qui s’appelle Zelmira ». Il m’emmène alors dans un drôle de lieu : cela ressemble à une arène, un cirque antique, là où s’entraînaient les gymnastes (j’ai vu ça à Rome). La piste a été transformée en plateau avec une fosse au centre pour y mettre l’orchestre. Pas de rideau de scène, aucune possibilité pour accrocher des décors, une sorte de plate-forme rectangulaire en verre éclairé par dessous, percée de quelques trous, dont l’un rempli de terre noire, un autre d’eau. Placée autour de l’orchestre, cela ressemble à un échiquier (l’histoire aussi ressemble à un jeu d’échec il faut dire). Mais surtout, le public est disposé sur des gradins, autour. Gioachino me dit avoir collaboré avec Calixto Bieito, un metteur en scène qui ne laisse pas indifférent. Il est espagnol et cela me rassure : entre compatriotes, on devrait pouvoir s’entendre !

La représentation commence, on rentre directement dans le vif du sujet. Je suis déstabilisée par le fait que les chanteurs ne soient pas toujours face au chef mais se déplacent en tournant tout autour de l’orchestre, tels des pions. Certains arrivent même des gradins et font des entrées remarquées. Pas d’artifices scéniques et pompeux, juste quelques accessoires : des colonnes pour suggérer une crypte, des fauteuils, des casques militaires portés en procession, une couronne, un olivier… Je suis tout de même offusquée qu’on demande aux chanteurs de transporter eux-mêmes des meubles ! Mais finalement, cette mise en scène un tant soit peu déstabilisante me plaît car elle illustre des thèmes universels : quête du pouvoir, guerre, violence, rôle pacificateur des femmes, autant de sujets éternellement repris.

Et enfin un personnage qui me plaît : une femme courageuse, intègre, au tempérament de feu, messagère de paix, réduisant à néant tous ces névrosés de guerre et de pouvoir. Et de surcroît, une écriture musicale qui me convient : des airs de bravoure, de haute voltige exploitant l’intégralité de ma tessiture, comme je les apprécie. Pour cette représentation à Pesaro, c’est Anastasia Bartoli qui interprète le rôle. Sa voix est ample, colorée, harmonieuse, fluide sur l’ensemble de la tessiture, lui permettant d’exprimer tous les tourments du personnage. Même sa tenue me plaît : elle porte soit une robe royale noire, soit elle arbore une allure combative en pantalon et haut à capuche.

Anastasia Bartoli (Photos © Amati Bacciardi)

Autour d’elle gravitent des interprètes tout aussi talentueux et je me projette bien avec eux comme partenaires de scène. Tout d’abord, l’époustouflant Lawrence Brownlee dans le rôle de Ilo. Habillé d’un treillis, le prince revient d’une guerre, certes victorieux mais malmené et profondément traumatisé. De sa voix de ténor intense au timbre délicat, il maîtrise brillamment la partition, suscitant de longues ovations, chose rare. J’espère tout de même qu’il ne me volera pas la vedette !

Lawrence Brownlee

Marina Viotti est aussi une alliée idéale pour interpréter le rôle d’Emma. J’imagine déjà les duos que nous partagerons, la fluidité de sa ligne mélodique s’équilibrant parfaitement avec celle de Zelmira.

Marina Viotti

Enea Scala incarne le rôle d’Antenore avec une voix bien projetée, assurant avec aisance les récitatifs, capable de chanter dans toutes les positions, au sol, à l’envers sur le fauteuil. Il se comporte comme un gamin capricieux assoiffé de pouvoir, manipulé par Leucippo. Je trouve tout de même leur relation ambigüe mais ici justifiée.

Gianluca Margheri © Amati Bacciardi
Marko Mimica

Leucippo est interprété par Gianluca Margheri. Sa voix de baryton sonore, l’emploi diversifié des dynamismes lui permettent d’affirmer son tempérament autoritaire et névrosé. Il m’effraie lorsqu’il frappe Polidoro ou lorsqu’il sombre dans la démence et se suicide en se noyant (un parti pris du metteur en scène). Toujours mi-nu ou vêtu d’un manteau transparent, son physique bodybuildé est valorisé (et non déplaisant !).

Enfin, Marko Mimica, ressemblant au commandeur de Don Giovanni, incarne Polidoro de sa voix sombre et vibrante.

Le maestro Giacomo Sagripanti gesticule de tous côtés afin de toujours tenir compte de la position des chanteurs disposés aux quatre coins de la scène mais aussi des tribunes, sans oublier d’indiquer toutes les subtilités de la partition aux talentueux musiciens de l’Orchestre du Théâtre communal de Bologne. Vraiment impressionnant.

« Alors ? » me dit Gioachino après les applaudissements chaleureux et l’accueil favorable du public, « ton verdict ? ». Oui, lui répondis-je sans hésitation mais à une condition, qu’Anastasia Bartoli alterne le rôle avec moi !

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