CONCERT – Le concert du duo Kali Malone et Stephen O’Malley sur le Grand Orgue de la Cathédrale de Bruxelles transforme l’espace gothique en une liturgie « drone » entre ferveur, gravité et méditation collective.
Du 8 au 12 octobre 2025, Bozar et Arty Farty Brussels présentent la deuxième édition de l’Abrupt Festival, un rendez-vous qui s’impose déjà comme l’un des moments phares de l’automne musical bruxellois. Pensé comme une cartographie mouvante des cultures sonores contemporaines, le festival associe concerts, night clubs, performances, discussions et rencontres afin de donner à entendre les tensions, les fractures et les convergences qui structurent aujourd’hui la création musicale. Loin de l’exhaustivité, la programmation privilégie l’intensité, l’expérience et pour Kali Malone ce soir-là, la méditation.

Dans ce chef-d’œuvre du gothique brabançon qu’est la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule, Kali Malone propose une expérience sonore singulière, adaptée à l’orgue monumental conçu par Gerhard Grenzing en 2000. La compositrice et organiste américaine y interprète des pièces issues de ses albums The Sacrificial Code (2019) et All Life Long (2024), revisitées pour l’acoustique si particulière de l’édifice. Certaines œuvres prennent la forme de compositions pour orgue à quatre mains, auxquelles se joint son partenaire depuis 2023, Stephen O’Malley, figure incontournable des musiques drone et expérimentales, et membre du groupe Sunn O))).
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Le Drone : less is more
La musique drone est un courant expérimental caractérisé par la répétition prolongée de sons tenus, souvent très lents, qui créent en un champ sonore une forme de continuum. Son nom vient de l’anglais drone, qui désigne le bourdon, ce son grave et invariable que l’on retrouve dans de nombreux instruments traditionnels. Dans ses formes contemporaines, le drone privilégie les nappes sonores étirées, les textures harmoniques et les micro-variations plutôt que la mélodie ou le rythme. Les compositeurs et interprètes y explorent les résonances, les harmoniques et les vibrations physiques du son, parfois jusqu’à l’extrême.
Installée à Stockholm, Kali Malone s’impose comme l’une des voix majeures de la musique expérimentale actuelle. Son œuvre, marquée par la lenteur, la rigueur et l’exploration des harmoniques, s’inscrit dans une tradition minimaliste avec une tendance gothique et nordique. Après The Sacrificial Code, méditation austère devenue une référence internationale, elle poursuit ses recherches avec Does Spring Hide Its Joy (2023) et All Life Long (2024).
Abolir le temps
Dans l’espace monumental de la cathédrale, ses compositions révèlent toute leur puissance méditative. La lenteur hypnotique de l’orgue installe le recueillement, intense, transformant le concert en une expérience mi-liturgique, mi-profane.
On ressent l’incessante vibration de l’air au sein des tubes, comme une onde de puissance. Les tubes vrombissent dans une espace d’élévation, profond, enfouit en une sensation intérieure. L’auditoire se concentre, la notion du temps disparait. Couché au sol sous l’orgue, l’auditoire se laisse rêver, concentré au temps de la note qui s’étire.
Ça passe, ou ça casse…
La relation spéciale que Kali Malone entretient avec les espaces sacrés suscite parfois des tensions : en 2023, un concert prévu dans l’église Saint-Cornély de Carnac est annulé par le maire de la commune, sous la pression de militants du mouvement catholique traditionaliste Civitas, qui bloquent l’accès et qualifient sa musique de « profanatoire ».
La présence de Stephen O’Malley porte en elle l’ombre de son groupe Sunn O))), qu’il fonde en 1998 et qui s’impose comme l’une des références absolues du drone. Sur scène, les musiciens apparaissent vêtus de longues robes noires quasi monacales, transformant leurs concerts en véritables liturgies amplifiées. Par la lenteur, la saturation et la monumentalité sonore, Sunn O))) joue délibérément avec les codes du sacré, brouillant les frontières entre rite et concert. Leur esthétique repose également sur une puissance sonore extrême, où les guitares saturées produisent des nappes d’infra-sons qui enveloppent littéralement le corps de l’auditeur.
Ces fréquences abyssales, plus ressenties que véritablement entendues, participent de l’expérience quasi mystique que propose le groupe. Bruxelles s’apprête d’ailleurs à retrouver ce rituel sonore : le Botanique accueillera le groupe le 1er novembre dans le cadre de son Weekender, prolongeant ainsi le sillage laissé par Kali Malone.
Bonus : la voix
Pour celles et ceux qui voudraient pousser la curiosité, Kali Malone compose aussi pour les voix : All Life Long en compagnie de l’ensemble Macadam à la Chapelle Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception à Nantes (2024)

