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Don Giovanni, serial lover à Avignon

OPÉRA — En ce début de saison, l’Opéra Grand Avignon ouvre le bal avec l’un des chefs-d’œuvre les plus sulfureux de Mozart. Ah, Don Giovanni ! Toujours aussi fascinant et exaspérant, surtout lorsque Frédéric Roels, directeur de la maison avignonnaise, le fait revivre dans une mise en scène intemporelle où désir et décadence valsent ensemble. À la baguette, la cheffe Débora Waldman dirige l’Orchestre National Avignon-Provence, complice de ce grand jeu de dupes.

Don Juan, à tous les temps

Des Don Giovanni, on en croise à chaque époque. Frédéric Roels le sait bien : le coureur invétéré, charmeur invincible et menteur patenté ne risque pas de se démoder. Et donc, sa mise en scène flotte volontairement hors du temps. Les décors de Bruno de Lavenère nous transportent sur une vaste place entourée d’immeubles décrépits, à moitié chantier de construction, à moitié bâtiment en ruines. Difficile de dire si on est à Séville, mais peu importe, l’amour (et le désir) est universel ! On y croise une cabine téléphonique envahie par un arbre (Freud, sors de ce tronc !) et un appareil photo remplaçant le fameux catalogue de Leporello : la chasse aux conquêtes passe désormais par l’objectif.

Les costumes de Lionel Lesire ajoutent à cette confusion délicieuse : entre modernité, baroque et clownerie, on ne sait plus trop à quel siècle danser. Quant au Commandeur, il ne se fige pas en statue, mais se réincarne en vagabond malvoyant : la justice est aveugle !

Don Giovanni n’a pas besoin de beaucoup insister : les femmes semblent déjà sous le charme. Le séducteur, campé avec une nonchalance espiègle, troque l’arrogance habituelle contre un humour joueur. Un diable presque sympathique… Ici, Don Giovanni ne tombe pas littéralement en enfer : sa damnation est suggérée. Au dernier acte, il revêt le manteau du Commandeur et s’assoit sur le bord du plateau. Au moment du châtiment, il pousse un cri et se recouvre entièrement de ce manteau, comme englouti par sa propre faute.

Les petits orchestres du bal et du souper ont disparu, remplacés par la fosse, réduite (mais vive) lors des finals du premier et deuxième actes. Zerlina et Masetto jouent davantage les paysans candides que les rustiques de carte postale. Et, détail piquant : leur blancheur virginale en dit long sur leurs jeux pas si innocents…

Libertin à ciel ouvert

Dans le cadre des 200 ans de l’Opéra Grand Avignon, la répétition générale est retransmise en plein air sur la place Saint-Didier le jour de la première (nous ne l’avons pas ratée non plus !). Public transi de froid, certes, mais réchauffé par Mozart, et par les plaids fournis par la maison !

© Moisés Ordóñez Alarcón

Comme à chaque représentation dans le théâtre, en prologue de la troisième soirée, l’écrivain et chanteur Simon Calamel rappelait avec esprit que Don Giovanni, en matière d’excès, n’a pas d’héritier crédible : il reste le roi du flirt éternel.

Un casting diablement efficace

  • Le baryton argentin Armando Noguera enflamme la Provence, en faisant chavirer les cœurs… et les oreilles ! Timbre sombre, projection ample, agilité bluffante : son Fin ch’han dal vino pétille comme un bon prosecco. Sur scène, il déborde d’énergie et de charisme. Attention, public : Don Giovanni chasse désormais jusque dans la salle…
  • Gabrielle Philiponet incarne une Donna Anna bouleversante, digne et brûlante tout à la fois. Sa voix, large et ronde, traduit la douleur d’une femme trahie, mais aussi la flamme de la justice. Son Or sai chi l’onore s’impose par la sincérité dramatique et l’émotion nue, vibrato parfois généreux (même un peu trop), mais toujours au service du texte.
© Studio Delestrade

Le ténor chinois Lianghua Gong offre un Don Ottavio d’une noble douceur. Dans cette version viennoise, son Dalla sua pace, finement ciselé, séduit par la délicatesse du phrasé et les aigus bien placés, malgré quelques imprécisions lors de la retransmission place Saint-Didier. Mais plus tard, la justesse revient et l’émotion suit : il gagne sa place parmi les vertueux.

Le baryton-basse Tomislav Lavoie campe un Leporello, valet de Don Giovanni, tel le Sancho Panza de Don Quichotte, d’un humour irrésistible. Quelques décalages avec l’orchestre ? Peu importe : sa voix chaude, son jeu vif et sa gestuelle nerveuse font mouche. Un serviteur las et lucide, parfait miroir du maître qu’il déteste adorer.

© Studio Delestrade

La mezzo-soprano Anaïk Morel donne chair à une Donna Elvira écartelée entre rage et passion. Elle menace, pleure, se pend, se braque : une véritable héroïne d’opéra, au bord du gouffre. Apparemment souffrante, elle semble en difficulté sur la fin de son dernier air, mais elle livre une performance d’une intensité rare. Sa voix ample et vibrante balaie tout sur son passage.

Eduarda Melo joue les ingénues perverses à merveille. Sous ses airs sages, la soprano portugaise glisse des regards malicieux qui en disent long. Sa voix claire et brillante, ses aigus nets et son jeu plein d’humour la rendent absolument attachante. Une Zerlina qui connaît la musique… et ses effets.

Le baryton Aimery Lefèvre, fidèle à l’Opéra Grand Avignon, campe un Masetto tendre, bourru, jaloux, et pourtant attendrissant. Chant très accentué (texte italien parfois brouillé), mais agile et expressif. Jeu théâtral pur : on rit de sa jalousie maladroite, et hop, on craque pour ce paysan cocu en puissance.

La basse russe Mischa Schelomianski impressionne dès son apparition. Privé de sa statue, son Commandeur-vagabond n’en est que plus inquiétant. Sa voix caverneuse glace la salle au dernier acte, soutenue par les trombones de Mozart. Et pour les mélomanes attentifs : oui, Rossini a bien honoré/parodié cette scène dans Le Turc en Italie : Voga, voga, o marinar ! Un clin d’œil d’autant plus savoureux dans cette production où passé et présent se répondent sans cesse.

Bande-son du libertinage

Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon, dirigé par Alan Woodbridge, ne fait pas dans la figuration : précision, puissance, et un final depuis la fosse qui secoue littéralement la salle. L’Orchestre National Avignon-Provence, sous la direction de Débora Waldman, joue sur la corde sensible entre comédie et tragédie. Les transitions sont souples, les articulations fines, et les contrastes bien dosés dans ce dramma-giocoso : du rire paysan à la solennité aristocratique, en passant par le souper méta où on entend le thème des Noces de Figaro, déclenchant plusieurs rires dans le public. Quelques décalages ponctuels (Protegga il giusto cielo un peu en roue libre), mais la tension dramatique reste intacte.

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Installée dans la fosse, la cheffe de chant Juliette Sabbah accompagne les récitatifs au clavecin avec une grâce précise et un important sens du détail, toujours attentive à la cheffe d’orchestre lors des passages entre récitatifs et airs. Ce dialogue subtil entre fosse et plateau contribue à la vivacité du spectacle.

Au moment des saluts, le public ovationne toute la troupe, de la cheffe à la figuration, notamment Don Giovanni. Zéro bis (même si on en aurait rêvé), mais des rappels nourris et un enthousiasme contagieux. Mozart, décidément, sait encore faire chavirer les cœurs.

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