AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - LyriqueDamnation au TCE : Costa cogite, Bernheim brûle

Damnation au TCE : Costa cogite, Bernheim brûle

OPERA – Chez Silvia Costa, Berlioz pactise moins avec le Diable qu’avec ses propres démons : une Damnation de Faust asséchée, cérébrale mais fascinante. Sous la baguette de Jakob Lehmann, Benjamin Bernheim, Christian Van Horn et Victoria Karkacheva y brûlent (pour ainsi dire) les planches.

Damned, ça donne à réfléchir…

Silvia Costa a très probablement passé un pacte avec Méphistophélès pour transformer Berlioz en performance métaphysique. Toutefois, le jeu en valait-il la chandelle ? Dans sa Damnation de Faust, la fosse devient purgatoire et le plateau, un champ de bataille entre musique et théâtre, véritable arène de la création. Après l’entracte, les musiciens envahissent la scène : les instruments se font juges, et le chœur tribunal. Faust (ou Berlioz lui-même), dans tout ça, ne cherche plus la rédemption mais le mode d’emploi de son talent : il finit ainsi par descendre dans la fosse armé de deux pupitres, combat ses partitions comme autant de démons familiers, en proie à un doute corrosif et inextinguible. Costa brouille ainsi les frontières entre inspiration et damnation, entre compositeur et suppôt. De ce fait, quand la vieille radio grésille la Marche hongroise (pas celle de Brahms, l’autre !), à l’ouverture du spectacle, c’est toute la musique de Berlioz qui semble revenir d’entre les morts pour juger, interroger, inquiéter son auteur.

Sous les draps, la damnation

Le reste relève d’un cauchemar domestique aux effluves de soufre. Faust végète dans une chambre d’étudiant envahie de peluches et de fantômes de l’enfance, jusqu’à ce que Méphisto fasse voler le décor en éclats pour installer son cirque infernal : rat en cage, enfants-vieillards chauves et rondes ivres et inquiétantes. Marguerite, quant à elle, passe du suaire à la robe de chambre, de la déesse blonde à la ménagère possédée qui glisse la tête dans le four, dépassée par l’ennui de sa condition. Dans cet enfer tapissé de draps froissés et de rêves brûlés, Costa transforme le lit en autel de la création : lieu du désir, du sommeil et de la mort. Alors, une réussite ? Un casse-tête pour certains en tout cas : le public siffle avec virulence.  Preuve (s’il en fallait) que le Diable, décidément, aime la dissonance !

© Vincent Pontet

L’Enfer, c’est les autres

Christian Van Horn ouvre le bal infernal avec la prestance d’un démon en bleu de travail, contremaître des Enfers et manager du péché. Son Méphisto, tranquille et carnassier, n’a même plus besoin de séduire : il attend que les âmes viennent signer d’elles-mêmes. La voix, sombre et dense, se déploie avec une autorité tranquille, ourlée de cette ironie souveraine propre à qui, par habitude de réussir, sait attendre. Le français, parfois un peu flottant, n’enlève rien à l’expressivité du chanteur : chaque accent se colore d’une assurance et d’une discrète jubilation.

© Vincent Pontet

Face à lui, Victoria Karkacheva fait de Marguerite un personnage innocent sans affectations. La chanteuse cultive un chant clair et franc, doucement introverti, comme si sa lumière de la ligne, déjà, provenait d’un autre monde. Dans cette mise en scène qui l’éprouve, elle réussit à imposer une silhouette mélancolique : celle d’une femme simple, aspirée dans des engrenages qui la dépassent. A cet égard, son air du Roi de Thulé devient une sorte de lamento suspendu, caresse maternante et inquiète.

Se damner pour Bernheim

Benjamin Bernheim, quant à lui, revient des limbes de la rhinite (a-t-on appris) comme Faust de son pacte : drastiquement transformé. Son timbre est éclatant, d’un métal projeté avec panache. Chaque note est une tentation et, il faut le dire, on succombe avec plaisir à ce chant raffiné, soucieux du texte comme de la ligne, d’une générosité communicative. En réalité, si tous les damnés chantaient comme lui, il deviendrait difficile de ne pas réserver une place en Enfer… Mais Bernheim n’est pas seulement chanteur, c’est aussi un acteur accompli et on suit avec curiosité les tourments du personnage, mi-homme mi-enfant, tendu entre sa neurasthénie et une angoisse de mort écrasante.

© Vincent Pontet

L’Enfer en coulisse

Autour d’eux, le Chœur de Radio France, reste engagé mais un peu brouillon : certaines attaques manquent de précision, certains aigus ressortent au détriment d’une homogénéité commune, mais l’énergie collective, elle, ne faiblit pas. Quant aux Siècles, d’abord tapis dans la fosse avant d’envahir le plateau, ils peinent parfois à embraser la partition. Sous la direction de Jakob Lehmann, le geste reste clair mais la pâte sonore manque d’élan. Les contrastes s’aplanissent, et le souffle berliozien peine à s’envoler. Pourtant, cette sécheresse involontaire finit par servir la mise en scène : dans cet univers de création à nu, même la musique semble lutter contre sa propre damnation.

À lire également : Faust à Liège : le Méphisto-show

Une soirée de contrastes, donc : les chanteurs et l’orchestre ovationnés, la mise en scène copieusement huée. Mais Silvia Costa a au moins eu l’exigence et le mérite de ranimer le mythe de Goethe sous un angle qui, à défaut de séduire, n’aura laissé personne indifférent. Pire encore pour certains : aura donné à penser.

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