AccueilA la UneRichard Strauss : une vie de héros

Richard Strauss : une vie de héros

CONCERT – Oeuvre de maturité du compositeur viennois, Ein Heldenleben (La Vie d’un Héros, 1898) est présentée en version concert au centre culturel Flagey de Bruxelles en compagnie de Don Juan (1888) ainsi que la Sérénade pour vents, opus 7 (1881). La saison 23/24 de Flagey est annoncée comme Season Of Delight, la générosité est donc de mise.

Tina Turner, musique du film Mad Max 3 Beyond Thunderdome

Porté par le Philharmonique de Bruxelles sous la baguette énergique de Kazushi Ono, l’avant-dernier poème symphonique du maître invite à reformuler notre vision de l’héroïsme contemporain. Considéré par certains de ses détracteurs comme un opus arrogant et égocentrique, la question de l’autobiographie réside toujours dans Ein Heldenleben, entre réalité et vie augmentée.

Besoin d’un héros

Le concert débute à 20h mais avant cela, le philosophe Laurent De Sutter, directeur de recherche du livre Vies et morts des super-héros  (2016) offre une conférence d’introduction mettant en exergue la vision contemporaine des concepts de ‘héros’ et ‘d’anti-héros’. Citant David Bowie, Brian Eno ou bien Tina Turner, Laurent de Sutter questionne l’idée du héros comme production sociale. Dites moi qui vous êtes, je vous dirai de quel héros vous avez besoin… Superman venu d’ailleurs, ou bien Ulysse le voyageur infatigable ? Choisirez-vous parmi la sélection actuelle de nos héros produits par Marvel ?

A propos du héros ou anti-héros aux limites de la biographie, de nombreux films actuels viennent modeler des personnages plus complexes et tiraillés par leur propre réalité. En témoigne notamment le dernier Batman, présenté dans ses faiblesses et ses blessures personnelles, ou bien le film Joker, histoire d’un clown triste terroriste organisant un chaos social malgré lui.

Devenir un héros

Le héros se regarde, se consulte et s’incarne. En témoigne la présence omniprésente des cosplay (kosupure) lors des festivals de Fantasy, loisir qui consiste à se déguiser pour incarner un personnage de fiction héroïque. Peu importe le héros ou le costume, tous sont animés par une quête vitale contrebalancée par une peur de mourir extrême… Cette passion de vie et de mort s’incarnait au temps de Strauss, plus par la musique que par le costume, permettant l’empathie psychologique et la projection du créateur.

Présentée en 1898, soit trois ans après Ainsi Parlait ZarathoustraEin Heldenleben a suscité des réactions mitigées en raison d’une manifestation « d’égotisme mal dissimulé » de la part de Strauss. Certaines voix critiques ont accusé le compositeur d’un égocentrisme excessif, permettant une expression musicale à la mesure d’un égo qui se voulait héroïque, tandis que d’autres y ont vu une prouesse orchestrale tenue par un propos des plus humains. 

À lire également : Six Suites de Bach, à l’école d’Anne Teresa de Keersmaeker

En pleine époque viennoise de la psychanalyse freudienne, Strauss semblerait lui-même s’être considéré comme sujet de recherche. Trois ans avant la première de Ein Heldenleben, naissait le terme de psycho-analyse; quelques années et publications scientifiques plus tard, La Salomé de Strauss (1903) s’achève en apothéose de folie orchestrée, à la limite de l’hystérie.

Je ne suis pas un héros !

Quoi qu’il en soit, le compositeur a choisi de mettre en scène un personnage complexe, humain et terre à terre avec une pointe d’héroïsme nécessairement autobiographique (à demi dissimulée). Dans le tout premier programme de représentation d’Ein Heldenleben, Richard Strauss précisa que le thème de son poème symphonique ne se rapportait pas à « une figure littéraire ou historique », mais incarnait plutôt un concept « plus universel et abstrait de l’héroïsme grand et courageux ».

L’héroïsme reflète l’éternelle lutte intérieure comme extérieure de celui qui cherche le réconfort dans l’expérience vitale. Avec cette œuvre, il rompt d’ailleurs avec son style de jeunesse d’inspiration plutôt classique et se tourne vers la composition moderne et certainement plus mature, avec Wagner comme principale source d’inspiration.

« Je ne suis pas un héros. Je n’ai pas la force pour ça. Je ne suis pas fait pour le combat. Je préfère rester en arrière-plan, dans un endroit calme. »

Richard Strauss
Kazushi Ono, side-kick de luxe

Fidèle à cette dualité du compositeur, Kazushi Ono impose une vision traversée d’énergie et de lumière. Les trois opus sont présentés sans entracte : Don Juan en ouverture, la Sérénade pour Vents, puis Ein Heldenleben en apogée. Comme à son habitude, le directeur musical japonais tient une palette d’orchestre des plus colorées. Les cordes marquent par la légèreté du toucher, les percussions sont tantôt assourdissantes pour Don Juan ou bien tenues en léger retrait, les cuivres placés hors de scène pour Ein Heldenleben afin d’offrir une profondeur de champ. Musique purement héroïque, la générosité romantique et la narration excessive offrent une puissance de son purement physique.

Accrochés à leur siège, les imageries de batailles et cavalcades sont là, presque matérialisées. En compagnie de la musique, des plages sonores électroniques lient chacun des opus avec les voix étrangères enregistrées par Stef Van Alsenoy (Soundscanpes) et une mise en scène, concept et lumière de Fanny Gilbert-Collet, apportant une touche de modernité décalée.

Héros d’avant ou de maintenant, il semble difficile de résister aux élans de Strauss, interprétés avec une générosité et une maitrise musicale remarquable. Ovation debout pour la direction comme pour les musiciens, Kazushi Ono et le Philharmonique de Bruxelles ont marqué le coup, mission réussie.

Teaser

Prochainement, Flagey invite le public à fêter l’anniversaire de Rachmaninov (150 ans) en une série de concert. Né le 1er avril 1873, Sergueï Rachmaninov naissait dans un empire russe qu’il quittera durant sa carrière. Le 28 mars 1943, il y a 80 ans, c’est à Beverly Hills aux Etats-Unis que le compositeur prit son dernier souffle. Le prochain concert (Vêpres) sera à retrouver sur Olyrix.com

En bonus

Un documentaire fascinant sur le Don Juan de Srtauss, avec Karl Bohm au pupitre du Philharmonique de Vienne :

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