CONCERT – L’œuvre-testament de Mozart, mise en spectacle par Laurence Equilbey et Yoann Bourgeois, exprime le digne et fraternel désarroi de l’homme face à la conscience de sa finitude.
Le vinyle craque
La scénographie de Yoann Bourgeois s’empare avec respect de la partition de Mozart, pour la mettre à l’épreuve du spectaculaire : circassien, cinétique et cyclique, dans ses « variations infinies », sa dimension spirituelle.
La référence visuelle qui étreint, en filigrane, l’ensemble du dispositif scénique semble être la fresque du jugement dernier peinte par Michel Ange pour l’un des murs de la chapelle Sixtine : chute des âmes et des corps dans les limbes de l’inconnu, expérience de mort permanente, indéfiniment recommencée. Du haut d’un grand tobogan noir les corps, retenus par des filins, viennent s’échouer sur la scène, se relevant dans un effort quasi réflexe de résilience.
Les corps du chœur Accentus se massent en nuées d’anges au sommet du tobogan, défilent côte à côte en chenille processionnaire, se massent en cercle, nombril du monde, ou s’égayent en ronde. Ils sont en totale osmose avec huit danseurs, davantage acrobates ou athlètes que soumis aux mouvements stylisés d’une chorégraphie. Les deux groupes vêtus d’habits carcéraux au gris crayeux semblent puiser l’un dans l’autre puissance et douceur.
La musique, surtout additionnelle, craque comme un vieux vinyle : comme le cercle scénique animé qui tour à tour permet ou empêche les corps de circuler à vitesse d’homme. Ce Requiem est une épreuve d’endurance. Toute la scène est une grande horloge, qui figure la marche inéluctable d’un temps, hier astronomique aujourd’hui atomique, et qui traverse la matière.
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Mozart au repos
La direction de Laurence Equilbey, aux gestes sereins ou nerveux de géomètre, se doit d’adapter le tempo à la ronde scénique. Elle doit veiller également à relier, en équilibriste sonore, fragments mozartiens et sons additionnels (vent mauvais et autres grondements de bombardier), sur le principe de la prolongation du dernier son de chaque section du Requiem. En revanche, les quelques mesures du lacrymosa, de la plume de Mozart, annoncés par des bribes grégoriennes, débouchent sur un silence de plomb.
- Les pupitres du chœur Accentus sont caressants les uns avec les autres, d’une tresse à quatre mèches, au blond de glace et de cendre. Ils posent les mots éternels du latin, prosodiés avec exactitude et poésie, sur les nuées que nimbent les lumières.
- Les solistes se fondent ou se distinguent en fonction de leur rôle ; échantillon d’humanité fraternelle construit par Mozart et porté par un casting choisi : la soprano Hélène Carpentier, aérienne et ancrée, l’alto Eva Zaïcik, de présence profonde, le ténor Eric Ferring, nerveux et lumineux, enfin le baryton-basse Christian Immler, puissant et résonnant.
- L’Insula orchestra, en fosse, laisse jaillir une lave aux étincelles sombres de laquelle se distinguent les cuivres et les timbales : orages de sang aux résonances organiques.
Il y a quelque chose de monocorde dans cet outre-monde scénographié par Yann Bourgeois, dont la circulation permanente donne le tournis, en regard de l’extrême diversité de la musique écrite par Mozart. Mais s’il s’agit d’en traduire l’esprit et d’en respecter la lettre. La réussite est là : un même frisson parcourt la salle…