OPÉRA – Il y a cent ans, l’orchestre et le chœur de l’Opéra de Vienne se produisaient pour la première fois au Théâtre des Champs-Élysées (Paris) dans Don Giovanni, de Mozart. Pour commémorer cet anniversaire, on a repris les mêmes (ou presque…) et on a recommencé : l’orchestre et le chœur sont revenus, dirigés par Philippe Jordan et en compagnie d’un plateau de premier choix, pour une version d’anthologie de cet opéra qu’on pensait pourtant connaître par cœur.
Promesse tenue !
Si l’affiche était belle : l’orchestre et le chœur de l’Opéra de Vienne, pour interpréter un des opéra majeur du maître viennois, dirigé par son chef actuel et en compagnie d’un plateau de premier niveau, le résultat fut à la hauteur ; grandiose même. Présenté en version non-représentée (sans décors et sans scénographie), le Don Giovanni de Mozart est apparu dans toute sa grandeur et sa brillance, tant musicales que dramaturgiques, dans la belle acoustique du Théâtre des Champs-Élysées (Paris).
Où que l’on tournât les oreilles, tout était fluide et juste, comme semblant couler de source. Des cordes parfaitement ensemble, à la fois dansantes et précises, avec un violoncelle solo pertinent et chatoyant dans les recitativi secci (récitatifs secs), des vents impeccablement dosés et équilibrés, des timbales majestueuses à souhait et un choeur, limité à seize chanteurs, extrêmement efficace dans ses interventions.
Des voix mozartiennes
Côté plateau, les huit protagonistes ont rivalisé d’inspiration, de qualité vocale et de possession de leurs rôles.
- La soprano Slávka Zámečníková a été une Donna Anna altière et sans dureté, dominant haut la main les difficultés techniques. Son soprano, à la fois charnu et agile, puissant et rond, appuyé sur une solide technique, a épousé à merveille ce rôle si subtil de jeune fille aristocrate rendue orpheline par celui-là même qui tenta d’abuser d’elle…
- Pour interpréter son fiancé, Don Ottavio, qui ne cherche qu’à venger sa belle, le ténor Bogdan Volkov, avec son timbre magnifiquement filé, a certainement tiré des larmes dans le public. Son solo Dalla sua pace, avec son legato tenu à l’extrême, aux limites du pianissimo, pour chanter qu’il n’est né que pour faire le bonheur de Donna Anna, fut d’une intensité et d’une profondeur expressive rarement entendues.
- Dans un registre plus léger, mais non moins maîtrisé, le baryton-basse Peter Kellner a été un Leporello idéal, roublard comme il se doit, partner in crime de Don Giovanni, couard et ne songeant qu’à ses gages… Lui aussi avait la voix pour le rôle, souple, suffisamment puissante et à la diction intelligible.
- Le baryton Martin Häßler, avec son timbre attrayant et bien placé, quoiqu’un peu en-deçà en terme de puissance, a donné une version tendre et attachante de Masetto, le paysan peureux et jaloux des avances de Don Giovanni envers sa promise Zerlina.
- Zerlina qui a su, en la personne d’Alma Neuhaus, minauder tout à souhait, tout en tâchant de rassurer son fiancé sur son intégrité… Là aussi, la mezzo-soprano a fait montre d’un registre bien placé et d’une technique aguerrie, qui lui ont permis d’endosser avec générosité et justesse son rôle.
- Donna Elvira est une jeune fille aristocrate. Don Giovanni lui a promis le mariage et elle en est éperdument amoureuse, pendant qu’il la fuit et la dédaigne. La soprano Federica Lombardi a, elle aussi, fait preuve d’intelligence et de technique pour interpréter ce rôle, sachant rester digne, grâce à son aisance vocale et scénique, sans sombrer dans le misérabilisme.
- Le basse Antonio Di Matteo, à grand renfort d’yeux exorbités et de torse bombé, a figuré un Commandeur intimidant et inquiétant à souhait.
- Le baryton-basse Christian Van Horn, enfin, a eu toute la prestance et l’envergure requise pour incarner un Don Giovanni particulièrement odieux, machiavélique et dénué de tout scrupule. Sans en faire trop, sans lourdeur, mais pourtant bien présent, tant physiquement que vocalement, il a été le prédateur terrible demandé par la partition.
Une baguette magique
En grand maître horloger de tous ces rouages, le chef suisse Philippe Jordan a, une fois de plus, excellé, se permettant même d’assurer la partie clavecin des récitatifs, dans un duo presque sensuel avec le violoncelle solo. On l’a senti libre et parfaitement en phase avec le sujet, à la fois rigoureux dans la conduite du discours musical et totalement confiant dans le talent et l’inspiration des interprètes. Une confiance qui a permis ce déploiement du propos, cette intention en plus, ce collectif sublimé qui produisit ce résultat si éclatant.
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Le dissolu puni
Il dissoluto punito : tel est le sous-titre de l’opéra Don Giovanni, de Wolfgang Amadeus Mozart. Certes, puni au final, mais pour combien de méfaits commis avant et de désespoirs inconsolables causés ! Avec une impunité dont seuls peuvent jouir les puissants. Alors que le monde du cinéma n’en finit plus de découvrir que certains réalisateurs, producteurs et acteurs ont profité de leurs situations privilégiées pour abuser de nombreuses proies, la musique de Mozart, servie avec un tel concours de talents, vient nous rappeler avec force que le mythe de Don Juan ne date pas d’hier. Les prédateurs ont toujours existé et il faudra continuer à les traquer sans relâche, sans se laisser berner par leurs paroles enjôleuses, comme cette canzonetta Deh vieni alla finestra de Don Giovanni, accompagnée simplement par la mandoline et les cordes en pizzicatti :