COMPTE-RENDU : Dans la Salle Bozar (presque) comble, Frank Strobel dirige le Belgian National Orchestra, interprétant la musique composée par Carl Davis en 1996 pour le film de 1925, Le Fantôme de l’opéra.
Il y a de cela deux années, Bozar avait sollicité le compositeur Martin Matalon pour un ciné-concert mémorable autour d’un Métropolis Rebooted sur le film de Fritz Lang. Cette initiative artistique est renouvelée avec l’emblématique Fantôme de l’Opéra réalisé par Rupert Julian en 1925.
Peur Bleue intergénérationnelle
Monstre aux allures érotomanes, Erik le « Fantôme » est prêt à tout pour obtenir l’amour de Christine, quitte à tout détruire sur son passage.
Mise en images de l’histoire située par Gaston Leroux dans l’Opéra de Paris (Palais Garnier), ce huis-clos cinématographique filmé en noir et blanc travaille ces deux couleurs et toutes leurs gammes visuelles, en présentant les caractéristiques expressionnistes de l’époque, les jeux d’ombres et de lumières soulignant le caractère des personnages.
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C’est une version aujourd’hui colorisée mais en teintes monochromes que projette l’écran de cinéma placé au-devant de l’orgue de la Salle Henry Le Bœuf : baignant dans les couleurs bleues, jaunes et roses, aux antipodes du conte cruel et sombre qui s’anime. Plongée dans les monochromes colorés, la Salle Henry Le Bœuf baigne entre passé et présent (mais cette œuvre n’est plus à un paradoxe près : ironie du sort, l’histoire se déroule dans un monde d’opéra et de musique, tout en étant muet).
Cool-Heurts
Connu pour avoir signé la composition de divers programmes musicaux de la BBC, et la re-composition de nombreuses musiques de films comme celles de Gatsby le Magnifique, Ben-Hur ou celle du sublime Napoléon d’Abel Gance, Carl Davis (décédé il y a un an) s’impose dans les années 90 comme ré-activateur du cinéma muet. Le compositeur cherche à rendre l’expressionnisme à son apogée, avec une énergie redoutable. Dès les premières notes, les frissons d’effrois se font ressentir en technique-couleur, gageure de thriller réussi : confirmant que les bonnes images se renouvellent grâce à de la bonne musique.
Fort d’avoir ravivé les Sueurs Froides (Vertigo) d’Hitchcock il y a peu, le spécialiste des ciné-concerts, Frank Strobel à la direction réussit à coloriser le film par sa musique, à l’aide de sa touche vive et pictorialiste.
Phantom Révolution 96
Plongée dans l’obscurité, la scène est constellée de loupiotes (lumières des partitions des musiciens). Derrière eux, l’écran présente les premières scènes d’effusion à l’Opéra Garnier, et tandis que Frank Strobel s’anime en direction, le film présente le chef d’orchestre en mimétisme, mise en abyme du spectacle. Mêlant les genres comme sur une palette, entre romantisme accru, héroïsme wagnérien, opérette et musique symboliste, les accords et leitmotiv de cette partition se répondent, façonnant les personnages complexes et tiraillés de l’opus. Loin de tout bruit blanc, les archets du Belgian National Orchestra répondent de vivacité au thriller tandis que les percussions métalliques, précises et martellantes saisissent l’auditoire. Partition cruelle à la (dé)mesure de son héros, le beau côtoie l’effroyable jusqu’à la fin tragique du fantôme.
C’est ainsi bien davantage la bande-son-vivante qui résonne par ses couleurs avec le travail de constrastes en noir et blanc du film.
Fil rouge
Invitation à se (re)plonger dans la magie du cinéma, la version ciné-concert réussit à rassembler les amateurs d’images et de partitions autour d’opus magistraux, servis par un orchestre ultra précis. Ovationné par le public bruxellois, Frank Strobel est attendu à nouveau, pourvu que les ciné-concerts deviennent une habitude de programmation à Bozar : une couleur locale.