Samedi 16 mars 2024 – 23h12 : Deux jeunes hommes discutent de La Fille mal gardée, qu’ils viennent de voir à Garnier. Le ballet classique le plus ancien au répertoire avait de quoi nourrir leurs débats…
« Tu n’en avais vraiment jamais entendu parler ?
– Non, jamais. Mais en même temps, ce n’est qu’un ballet-pantomime, tu vois bien que ce n’est pas non plus un joyau du répertoire. Tout y est caricatural. Il n’y a pas de grand thème orchestral et le pitch est sommaire : on est à la campagne, une jeune fille est amoureuse d’un beau jeune homme, sa mère veut la marier à un autre, plus fortuné, avant que finalement, l’amour ne triomphe. Fin de l’histoire.
– Tu n’es pas juste ! Côté musique, le hautbois assure des solos délicieux. La gestuelle quant à elle est exagérée, mais c’est ce qui conquiert le public. Je te l’accorde, on s’enfonce dans le grivois et le comique de situation toutes les cinq minutes : mais la salle savait ce qu’elle allait voir !
– Mouais. Enfin, il y a quand même des poulets qui dansent…
– Il y a bien des rats dans Casse-Noisette ! Et puis, ce serait injuste de réduire la pièce à un enchaînement de gags. Tu ne mentionnes ni les danses en groupe, qui sont fabuleuses, ni les décors très inspirés.
– La vraie inspiration, si tu veux mon avis, c’est celle qu’a eue le chorégraphe Frederick Ashton avec cette version de 1960, en ne nous inventant pas des danseurs nus qui crient dans tous les sens. Forcément, quand on livre une mise en scène respectueuse de l’esprit classique, ici d’une pièce de Jean Dauberval créée en 1789, on obtient un résultat agréable à l’œil. Ca a au moins le mérite de nous rappeler qu’on peut encore aller à l’opéra, se laisser porter par une belle performance, fluide et délicate, oublier ses problèmes, sans se heurter à l’hermétisme d’une création trop intelligente pour être comprise. Là, au moins, le risque était écarté.
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– … je savais que tu dirais ça à un moment. Est-ce que tu lui as quand même trouvé d’autres qualités à ce ballet, en dehors de l’idéal classique ?
– Eh bien, oui, figure-toi. Hugo Vigliotti, dans le rôle de la Mère Simone, a été incroyable, très opulent dans son style, très fort. Le duo Marine Ganio / Jack Gasztowtt était touchant, le couple affichait une bonne palette de mouvements et d’expressions.
– Bon point pour toi. Il y a aussi une belle alternance entre l’intimité de certaines scénettes, et la liesse qui s’empare des chœurs de jeunes villageois et villageoises. Avec les costumes et les rubans, les manèges avaient vraiment de l’allure, sous cette apparence de facilité et de simplicité. Je ne dirais pas avoir été marqué par un morceau de bravoure en particulier, mais l’écriture de cette chorégraphie sentimentale et comique est très allègre. Les figuralismes n’alourdissent pas trop la narration, et en deux heures, on n’a pas le temps de se lasser des personnages délibérément agaçants, comme Alain, interprété par Aurélien Gay. Il y a même quelques pas de deux qui m’ont paru suspendre le temps. J’ai adoré ce baiser à la porte de la ferme, dans le second acte. Et puis, le propos ne cesse de se renouveler, les rires de la salle sont francs, comme au moment où la Mère enfile un soulier de caractère pour nous livrer un morceau de claquettes sorti de nulle part.
– Mais, tu sais, il y a eu quelques légers soucis de synchronisation parfois.
– Tu es incorrigible… »