TOURISME – Si vous recherchez une escapade dépaysante, en ce début de printemps, notre agence vous recommande une petite virée en Espagne, au pays des moulins et des chevaliers errants : ça s’appelle Don Quichotte, ça se passe à l’Opéra de Paris, et c’est un ballet signé Rudolf Noureev.
Kitsch ou pas kitsch ?
Le voyage pourra difficilement décevoir. Cette version du ballet de Petipa, créée en 1981 par Noureev, est fort plaisante. Les tableaux sont pittoresques, et l’apparente simplicité dissimule la présence de quelques passages chorégraphiques bien retors. Et si vous recherchez des paysages à couper le souffle, attendez-vous à une scène riche et monumentale, mais sans mauvais goût – les décors évoquent l’exotisme mauresque, et rehaussent à merveille les costumes.
Côté danse, on en prend plein les yeux aussi. Le duo principal (Paul Marque et Sae Eun Park) est plutôt séduisant, avec un Basilio tonique et une Kitri opiniâtre et affutée. Les premier et troisième actes sont fournis et enjoués, avec de somptueux morceaux de groupe, et une belle occupation de l’espace scénique – vous prêterez attention aux jeux de regards. Bref, on passe un excellent moment, malgré certains effets qui s’usent à force de répétition. On croisera d’ailleurs des populations diverses pendant le voyage : des chœurs de matadors, de jeunes femmes, de pêcheurs. Cette première du 21 mars ne fut sans doute pas de tout repos pour eux, avec plusieurs problèmes d’accessoires dont il faut saluer le rattrapage habile. Les spectateurs qui ont La Fille mal gardée en tête s’amuseront de retrouver un personnage de jeune prétendant riche mais non désiré, guindé, ridicule, écervelé – lui aussi doté d’un parapluie (Gamache, joué par Daniel Stokes) !
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Dans ce ballet en trois actes, le deuxième constitue un moment à part : c’est un peu le coup de blues de milieu de séjour. Mais un coup de blues très esthétique. L’humeur est plus contemplative, et la scénographie, plus sombre et étrange, prend les accents d’un romantisme onirique (voire légèrement cauchemardesque). Le thème musical de la deuxième danse des gitans, composé par Ludwig Minkus, résume à lui seul l’ambiguïté chatoyante de ce deuxième acte. Par moments, les danses de groupe intègrent des touches plus modernes tout à fait bienvenues, et la chorégraphie propose des mises en abîme bien senties.
C’est qui le barbu sur son cheval ?
Comme pour tout voyage, il faudra vous attendre malheureusement à quelques déceptions. Les Dryades n’étaient pas toujours parfaitement synchros. Ah oui, il y a les moulins aussi. Bon, vous ne manquerez rien en les ignorant : c’est un peu le piège à touristes du coin. Ajoutons que cette version de Noureev éclipse considérablement le rôle de Don Quichotte himself – lui qui est pourtant déjà bien discret dans l’œuvre de Petipa. Les applaudissements adressés à Yann Chailloux ont d’ailleurs reflété cet amour mitigé pour le rôle. Le chevalier et Sancho Pança (Fabien Révillion) vous feront un peu penser aux bagages oubliés au bord de la route au moment de charger la voiture. Les apparitions de Dulcinée nous ont elles aussi peu convaincu…
Et puis, il y a un souci avec l’intrigue. Pour une pièce dont l’argument est censé être élémentaire, on se surprend à hésiter sur le sens de la pantomime, ou à ne pas saisir ce qui cause l’enchaînement de certains événements. Le propos manque vraiment de lisibilité, surtout quand on fait la comparaison avec la version de Carlos Acosta, donnée il y a quelques mois au ROH de Londres. Dans le troisième acte de Noureev, le rapport à l’histoire oscille entre un humour au premier et un autre au second degré. Pas forcément très intuitif.
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Autre défaut, toujours sur la narration : le manque de fluidité. Les transitions entre les tableaux durent souvent quelques secondes de trop et laissent la place à un silence assez mal occupé. Si l’on ajoute à cela les applaudissements et bravo! compulsifs de plusieurs énergumènes dans la salle, la narration en devenait vraiment hachée.
Bref, on ressort léger, bronzé, et heureusement pas trop chagriné.