OPÉRA – L’Opéra de Wallonie Liège accueille Pelléas et Mélisande, sous la direction de Pierre Dumoussaud et la mise en scène onirique de Barbe et Doucet (production du Teatro Regio di Parma). Entre rêve et réalité, le symbolisme belge s’incarne entre amertume, douceur et une touche déprimante de macabre. Comme disent les belges, ca tchoule !
Drame obscur
Écrit par l’auteur belge Maurice Maeterlinck en 1893, le drame intemporel Pelléas et Mélisande offre un récit autour de personnages que le public découvre à chaud, sans rien connaître de leur passé. Cette œuvre, réponse franco-belge au drame de Tristan et Iseult, explore les méandres de l’amour et de la jalousie dans un univers tout fait de symboles.
Inscrit dans une période créative inspirée par le mouvement médiéviste des Préraphaélites, Debussy rejoint le spiritisme cher à Maeterlinck avec sa partition, créée en 1902. Sujet de nombreux désaccords entre le compositeur et l’écrivain, l’opéra finit par être produit, sujet de réconciliation des thèmes croisés. Esotérisme, symbolisme, mysticisme invitent ainsi le public à plonger dans les profondeurs de l’inconscient, mêlant monde des vivants et des esprits. Partagée entre arbres et racines, la scène s’impose en symétrie de l’air et de la terre.
Lumière sur l’orchestre
Incarnée également par la partition, le crépuscule habille avec force le destin tragique des deux amants. Pierre Dumoussaud à la baguette revient à L’ORW avec brio, la précision pour signature. Élévatoire et très expressive, la partition de Debussy brille depuis la fosse, irradiant la scène obscure. Les grands silences de Debussy sont respectés. Le poids du drame s’abat progressivement, jusqu’au deuil. Les chœurs absents de la scène renforcent l’impression de huis clos dramatique.
La mise en scène : doux amer, clair-obscur
Dans un espace hybride, la scène rend hommage à l’histoire de l’art en évoquant le silence des tableaux Die Toteninsel d’Arnold Böcklin, La Fontaine de l’Inspiration de Constant Montald (cf figure), les figures blanches et mystérieuses du Rêve de Puvis de Chavannes.
Le duo Barbe et Doucet (cheveux et brutets) signe les décors et costumes qui se rapprochent de l’esthétique nippone Wabi Sabi (douceur-amertume). Maîtrisant les couleurs et la science des rêves, la composition de scène rappelle la magie médiévalo-futuriste du film de Miyazaki, Le Château dans le ciel. Présente sur scène, l’eau rappelle évoque le le Styx (fleuve des enfers grecs), ajoutant une touche de réalisme sonore à la musique en fosse.
Envoyant ses reflets en salle, l’eau renforce la magie de la mise en scène. La poésie de Maeterlinck se caractérise par la suggestion, la dépersonnalisation et une perpétuelle pénombre. En réponse au texte, la mise en scène se déploie comme une variation sur l’obscurité, personnage principal du spectacle.
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Point par point : le miroir des voix
- Pelléas est figuré par un Lionel Lhote plus mûr et certainement plus grave. Habituellement réservé aux ténors, le rôle de jeunesse est ici incarné dans les graves, enfonçant la musique en un espace certainement plus enfoui et sombre.
- Miroir et double de Pelléas, Mélisande est incarnée par Nina Minasyan. La soprano arménienne incarne l’innocence de la jeunesse avec une voix limpide et translucide.
- Golaud trouve en Simon Keenlyside une profondeur psychologique remarquable. Habitué à jouer Pelléas, le passage au côté plus sombre et évolutif de Golaud semble plaire au soliste.
- Inho Jeong, grand-père de Mélisande, est à mi-chemin entre le monarque puissant et sa fragilité humaine, avec une lecture résolument fine et psychologique.
- Geneviève, maternelle et rassurante grâce à la vision chaleureuse de Marion Lebègue, apporte une touche humaine au drame qui se déroule.
- Roger Joakim chante le double rôle de médecin et berger. Tenu sur scène comme la mort qui rôde, le baryton ne chantera qu’à la toute fin.
- Judith Fa détonne avec une proposition du rôle du jeune Yniold, habituellement confié à une voix d’enfant. La soprano offre une vision détachée et libre de la partition, partagée entre des parties chantées et parlées.
Synthèse aux inspirations multiculturelles, Pélléas et Mélisande est le signe que les drames intemporels se réinventent et se nourrissent mutuellement. Pour ça, il faut encore que l’un d’eux meure à la fin…