AccueilA la UneSalomé, sang pour sang à l’Opéra Bastille

Salomé, sang pour sang à l’Opéra Bastille

COMPTE-RENDU – La mise en scène signée Lydia Steier de Salomé (Richard Strauss) est de retour à l’affiche de l’Opéra de Paris : entre profondeur et lumière (la radieuse soprano norvégienne Lise Davidsen dans le rôle-titre), entre hémoglobine et maux globaux (de nos sociétés).

À la tronçonneuse

Loin des profondeurs obscures d’un bois où la menace rôde pour mieux surgir soudainement (comme dans la dernière mise en scène de Don Giovanni présentée en ouverture de saison en cette même Bastille), la scène d’horreur que propose à nouveau la metteuse en scène Lydia Steier dans sa vision de Salomé s’inscrit dans la veine sanguinolente et plus récente de ces films horrifiques montrant immédiatement, d’emblée et constamment les pires atrocités (corps exploités dans tous les sens et jusqu’au bout). Les violences commises par une société de privilégiés, sur le peuple (littéralement consommé dans une loge panoramique puis consumé dans une fosse commune) s’efforcent de choquer. Au milieu de cette engeance, seule la Princesse Salomé (loin ici d’être la femme tentatrice habituellement représentée) semble incarner comme une lueur d’espoir et de résistance face au mal. Pour autant, en découvrant le message apocalyptique de Jochanaan (le prophète Jean-Baptiste) et l’attraction morbide, sensuelle même, qu’il exerce sur elle, Salomé n’aura pas d’autres choix que de se livrer elle-même après avoir fait décapiter le Prophète (quoiqu’une conclusion pourrait laisser croire à une rédemption, vers les cieux). Le monde peut désormais s’écrouler…

Salome par Lydia Steier © Charles Duprat-OnP
Rédemption vocale

La mise en scène avait choqué en 2022, et ce n’est plus même le cas à en juger par l’accueil du public. Surtout, la prestation irradiante de Lise Davidsen focalise en premier lieu toute l’attention ! Tout comme la fascinante Elza van den Heever précédemment, mais avec des moyens vocaux encore plus imposants, elle se saisit du rôle de Salomé avec une conviction absolue tout en répondant sans sourciller aux exigences extrêmes de la metteuse en scène. Elle dresse un portrait psychologique complexe du personnage qui ne cesse d’aiguiser la curiosité, avec cette détermination affirmée et revendiquée visant à obtenir le baiser de Jochanaan quel qu’en soit le prix à payer. La voix au métal radieux paraît comme un fleuve qui entraîne tout sur son passage, large et impressionnante jusque dans les parties les plus aiguës et les rares moments d’abandon. Mais elle sait aussi se muer en caresse, presque langoureuse, lorsqu’elle tente de circonvenir Narraboth pour qu’il lui amène le Prophète depuis sa prison. Avec Lise Davidsen, le rôle de Salomé renoue avec les grandes voix glorieuses du passé, celles que n’effrayaient pas les difficultés vocales inouïes imposées par Richard Strauss. À ses côtés, la distribution affiche des interprètes de qualité mais qui semblent comme pâtir de son charisme (comme, dans un film d’horreur, tous les personnages autour de l’héroïne doivent lutter pour survivre, pour servir à autre chose que simplement périr autour d’elle). Johan Reuter, desservi par le fait que ses imprécations sont lancées depuis le fond de sa cellule, campe un Jean-Baptiste surtout hiératique, manquant de puissance et trop linéaire au plan vocal. De sa voix de ténor si particulière, Gerhard Siegel, habile comédien, s’empare heureusement avec vaillance du rôle du Tétrarque Hérode qu’il amène au bord du gouffre, tandis qu’Ekaterina Gubanova bien chantante surprend moins en Herodias. Le fort beau Narraboth de Pavol Breslik, fasciné jusqu’au désespoir par Salomé, apparaît presque humain tandis que Katharina Magiera fait entendre sa voix solide et irisée de contralto dans le rôle du Page d’Hérodias.

À Lire également : Lise Davidsen - polir un diamant brut
Sang froid

Après Beatrice di Tenda il y a quelques semaines, Mark Wigglesworth retrouve l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Il propose une direction musicale certes subtile, mais réservée et par moment dénuée de l’éclat indispensable permettant d’impulser toute sa mesure à cet ouvrage à la limite de la démesure (sans parler de cette mise en scène qui aurait demandé, et sans doute bien voulu, que la fosse d’orchestre soit elle aussi noyée de sang).

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