OPÉRA – Une relecture audacieuse de l’opéra belcantiste de Gaetano Donizetti, Maria Stuarda par la metteure en scène Mariame Clément au Grand Théâtre de Genève. Un triangle amoureux captivant servi par un casting vocal exceptionnel avec Elsa Dreisig, resplendissante en Elizabeth et Stéphanie d’Oustrac, bouleversante en Marie. Un opéra féministe qui dépeint le portrait de deux femmes fortes rivalisant pour leur survie dans un monde dominé par les hommes.
Dans les épisodes précédents…
Au Grand Théâtre de Genève, grâce à sa « Trilogie Tudors », qui comprend les trois opéras de Gaeteno Donizetti, Mariame Clément retrace le destin exceptionnel de la reine Elizabeth de son enfance à sa vieillesse sur fond d’intrigues politiques pimentées par des passions amoureuses tumultueuses. 3 épisodes, pour une série en mode biopic. On récapitule : Anna Bolena dépeint la jeunesse d’Elizabeth, marquée par l’exécution de sa mère Anne Boleyn par son père, le cruel roi Henri VIII. Puis Maria Stuarda explore la rivalité à la fois politique et amoureuse d’Elizabeth avec sa cousine Marie Stuart. L’épisode trois, Roberto Devereux nous entraîne dans les méandres d’une relation amoureuse entre Elizabeth et Roberto qui précipitera la fin de son règne en faveur du fils de Marie Stuart.

La reine Elizabeth est le fil rouge de ses trois opéras, qui sont joués l’un à la suite de l’autre pendant une semaine, un peu comme le Ring de Wagner. En effet dès le lever du rideau de Maria Stuarda, la reine Elizabeth âgée, corsetée dans une robe à collerette, se remémore l’exécution de sa mère, Anne Boleyn. Une image qui fait écho à celle du destin tragique de sa cousine Marie Stuart, qui sera elle aussi décapitée à la fin de l’opéra. Deux femmes fortes, deux exécutions, une histoire qui se répète…
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Deux reines que tout oppose
D’un côté, nous avons Elizabeth, une femme puissante à l’allure androgyne : arborant une coupe rousse à la garçonne, vêtue d’une armure dorée, de bottes et entourée d’une cour d’hommes, elle dégage une autorité incontestable.
De l’autre, Marie Stuart, reine d’Ecosse, incarne la féminité dans toute sa splendeur. Sa robe vaporeuse de couleur rose contraste avec l’allure masculine d’Elizabeth. Elle semble prête à renoncer à la couronne pour une vie simple en pleine nature, auprès de son fils adoré, symbole de pureté et d’innocence, futur successeur d’Elizabeth. Cette image d’héroïne passionnelle et entière a construit sa légende, au point d’inspirer une biographie à l’écrivain Stefan Zweig.

La metteure en scène Mariame Clément l’élève même au rang de martyre au deuxième acte de son opéra. Vêtue d’une robe blanche, les bras écartés, elle se prépare à une ascension céleste, immortalisée par des cameramen – un anachronisme assumé qui souligne la construction de son statut d’icône. Sa mort, parfaitement orchestrée, achève de forger sa légende : « En ma fin est mon commencement ». Qui est la véritable gagnante de ce duel ? Peut-être pas celle que l’on croît…
Et un beau gosse au service de l’intrigue
Et puis comme si l’histoire ne se suffisait pas à elle-même. Donizetti (et son librettiste Giuseppe Bardari s’inspirant de la pièce de Schiller), rajoute un personnage fictif : le comte de Leceister pour pimenter la rivalité entre les deux reines. Un beau gosse charismatique tiraillé entre ses sentiments amoureux pour Marie Stuart et sa liaison charnelle avec la reine Elizabeth. Il s’estime assez intelligent pour se positionner en diplomate entre les deux femmes mais son manque de finesse et de discernement le mène à l’échec, aggravant même la situation entre les deux reines. Bon, le beau gosse se révèle être un imbécile dépassé par des femmes plus intelligentes que lui, mais il reste un personnage essentiel pour révéler la passion chez Elizabeth.

Loin de l’image stéréotypée de la « reine vierge », Mariame Clément transforme Elizabeth en une femme habitée par le désir et la passion. La mise en scène met en en lumière l’intensité des rapports entre Elizabeth et Leicester. Les étreintes charnelles entre les deux amants soulignent la tension et la complexité de leurs rapports entre soumission et domination. La première scène entre les deux amants, où Leicester déshabille et caresse Elizabeth sur un bureau tout en lui décrivant les charmes de Marie Stuart, est particulièrement osée. Un pari risqué particulièrement réussi.
Voix par voix : cast à divas
- La soprano franco-danoise, Elsa Dreisig est resplendissante dans le rôle de la reine Elizabeth. Sa voix claire et puissante est parfaitement adaptée à l’interprétation d’une reine dans la fougue de sa jeunesse, guerrière et impulsive. Elle excelle particulièrement dans les aigus qui fusent avec brillance quand elle se met en colère.
- Sa rivale, la mezzo-soprano Stephanie d’Oustrac n’est pas en reste : elle bouleverse dans le rôle de Marie Stuart où sa voix chaude et expressive traduit avec brio les émotions profondes de la reine d’Ecosse, tourmentée par la douleur et la fierté. Son interprétation atteint des sommets à la fin de l’Acte I, lors du célèbre passage où elle balance à sa rivale « vile bastarda » (besoin d’une traduction ?), et remet en question sa légitimité au trône. L’apothéose de ce spectacle.
- Le ténor Eduardo Rocha ne démérite pas non plus dans le rôle du Comte de Leicester. Sa voix suave et grave, parfaitement contrôlée, rend compte des sentiments tiraillés de ce personnage partagé entre un amour platonique avec Marie et charnel avec Elizabeth. Le public tombe littéralement sous son charme par son timbre envoûtant et sa présence charismatique.
- Les seconds rôles s’acquittent honorablement de leur rôle et contribuent à la réussite de la production. La mezzo-soprano Ena Pongrac est touchante en Anna, nourrice dévouée au fils de Marie, tandis que le basse Nicola Ulivieri avec son timbre chaud apporte une voix puissante au personnage de Talbot. Le baryton Simone del Savio avec sa voix dense s’en sort plutôt bien dans le rôle de Cecil.