SPECTACLE – Julien Joubert est à la fois compositeur, prof de Conservatoire, violoncelliste, pianiste, (contrairement à Phileas Fogg, qui n’exerce aucun métier)… L’intrépide musicien nous propose une Histoire de la musique en 80 minutes. Un pari tout aussi fou et irréaliste que celui décrit par Jules Verne.
Et, tel Phileas Fogg, Julien Joubert viendra au bout de son pari fou, simplement muni de son piano droit et de son violoncelle, sous les lumières crues et carrées de la petite scène du Théâtre Montmartre Galabru où il avait déjà régalé le public la saison passée avec son one man show Tout le monde écrit des chansons, dans lequel il dévoilait les ficelles glorieuses ou moins avouables des compositeurs de mélodies et de succès pop.
Contrairement au héros de Jules Vernes, Julien Joubert n’a pas besoin d’un majordome astucieux et débrouillard comme Passepartout pour parvenir à ses fins. Avec ses deux instruments et un petit écran pour s’aider de schémas basiques quand la théorie devient trop compliquée à imaginer (un powerpoint assez rarement utilisé finalement), il déroule en une heure et vingt minutes sonnantes sous nos yeux ébahis une épopée jubilatoire de toute la musique occidentale.
Et quand on dit épopée, le mot est faible.
La musique est vieille comme le monde, et c’est exaltant de le constater. Comme si l’homme avait toujours eu besoin, en plus d’une transcendance pour expliquer l’univers, de mélodies pour l’accompagner dans son destin de chasseur-cueilleur hirsute.

À l’instar de Phileas Fogg, Julien Joubert est précis et méthodique : il commence son récit il y a quelques millions d’années quand homo abilis est devenu homo erectus. Le passage à l’état debout a facilité la sensibilité du foetus humain au rythme et à la hauteur des sons. De là à dire que la sensibilité musicale précède la naissance, il n’y a qu’un pas que notre compositeur facétieux (et de nombreux scientifiques avec lui) franchit allègrement, pour arriver très vite à la Haute Antiquité, aux premières traces d’instruments en Egypte (flutes en os, percussion en peaux, cordes en boyaux d’animaux). Et de là va débuter cette envolée effervescente et néanmoins très méticuleusement construite, qui retrace toute l’histoire de notre univers musical.
Et notre trublion ne recule devant aucun défi ni devant aucune complexité théorique ou solfégique pour expliquer au spectateur comment le langage musical s’est construit puis complexifié. Car comme Phileas Fogg, notre “stand-upper” ne manque pas de drôlerie, préférant parier sur l’intelligence du public et sur son sens de l’humour pour arriver à ses fins (ça fait du bien de pas être pris pour des imbéciles !).
Dîner chez les Schumann
On passe ainsi de l’exploration du cycle des quintes justes et de la théorie des harmonies naturelles chez Pythagore, que le philosophe découvrira en entendant le bruit des marteaux chez un forgeron, à la naissance du plain-chant et de la monodie médiévale dans les Abbayes, au passage à la polyphonie et au contrepoint chez Josquin des Prés…
Contrairement à Phileas Fogg, connu dans son Club pour être un gentleman à sang froid, prévisible et un brin maniaque, sous la moulinette joyeuse et décalée de Julien Joubert, tout devient prétexte à humour, second degré et clins d’oeil au public, très sollicité pendant le show (on se surprend même à chanter tous en choeur un Ave Maris Stella grégorien) … Les blagues fusent, l’ironie aussi, et tous les sujets deviennent prétexte à une franche rigolade : la folle inventivité de l’art de la fugue et du clavecin bien tempéré chez Jean-Sébastien Bach, un diner à trois qui tourne court entre Robert et Clara Schumann et Johannes Brahms, ou la transformation inédite du poème des Contemplations de Victor Hugo écrit suite à la mort de sa fille Léopoldine en un tube pop exécuté en deux coups de cuillère à pot !
Court, et magistral

Le tourbillon Joubert fonctionne à merveille. Entre deux éclats de rire, on se met à comprendre ce qu’est une tonique, une sensible, un accord de 7e, pourquoi le romantisme est une sorte de tuning de l’époque classique qui l’a précédé, pourquoi Mozart est un génie et pourquoi Monteverdi l’est aussi. L’énergie d’un seul en scène est totalement assumée, et même si la voix fatigue un peu dans les aigus à force de donner des exemples audacieux, le coté bon-vivant un poil insolent emporte facilement l’adhésion d’un public qui rit mais qui s’instruit en même temps, sans même s’en rendre compte. Certes, moins intrépide que Phileas Fogg, il ne sauve pas une jeune hindoue du bûcher, ni ne prend un train attaqué par des sioux, mais il n’est pas avare en rebondissements, détours et parallèles surprenants dans son histoire de la musique ludique et personnelle…
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À la fin, fourbu mais visiblement heureux d’avoir donné autant de folle énergie, notre pédagogue décalé et pétillant reçoit une belle ovation méritée, tant son art de démocratiser la musique classique a fait mouche. Souhaitons lui de rencontrer ce beau succès au prochain Festival d’Avignon, où il donnera ses deux spectacles chaque jour du 5 au 27 juillet prochains…

