DANSE – 5 Pas de Deux par 4 chorégraphes essentiels de la scène contemporaine au Théâtre des Champs-Elysées : tel est le programme de cette 2ème édition de « Dialogues », l’occasion d’explorer la richesse et la diversité de la danse contemporaine en une seule soirée, courte mais intense.
Love story sur trente ans : du premier frisson à une routine quotidienne
En ouverture et clôture de soirée, Mats Ek, le chorégraphe suédois nous offre un diptyque saisissant qui raconte une histoire d’amour à deux âges différents. D’un côté A sort of… (1997, NDT), de l’autre A cup of coffee (2025) : même histoire d’amour, même signature chorégraphique mêlant la gestuelle expressive théâtrale à la danse contemporaine, mais séparées par trois décennies. Premier tableau : Clotilde Tran, lumineuse dans un ensemble jaune poussin et Johnny McMillan, tout en noir, esquivent leur rencontre par des gestes tendres dans un univers inspiré par l’œuvre de Magritte. Entre glissements, pirouettes et déséquilibres maîtrisés, leur gestuelle déploie une chorégraphie de la découverte du corps de l’autre avec une innocence presque adolescente. La patte de Mats Ek transforme les maladresses d’une première rencontre en une chorégraphie théâtrale pleine de délicatesse.

Tableau final, trente ans plus tard : nous voilà, plongés dans l’intimité de ce même couple vieilli, uni par les années, autour d’une simple tasse de café. Ana Laguna, septuagénaire éblouissante et épouse du chorégraphe dans la vie, danse avec Yvan Auzely autour d’un chariot à roulettes – accessoire banal devenu théâtre des petites frictions quotidiennes. Une partition humoristique où les disputes s’entremêlent à une complicité profonde et où chaque geste raconte l’histoire d’une vie partagée. Dans ces deux duos, le maître suédois capture magistralement ces moments ordinaires, qui, sous son regard, deviennent à la fois absurdes et terriblement poétiques. De la première rencontre à une routine installée, Mats Ek nous offre un voyage chorégraphique où se raconte, sans un mot, toute l’histoire d’une vie à deux.
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COUCH – quand un canapé se fait piste de danse
Samantha Lynch transforme le plus banal des meubles du quotidien en terrain d’exploration chorégraphique avec COUCH (2023), présenté pour la première fois en France. Dans cette création aussi maline que jubilatoire, elle place un simple canapé brun – petite allusion à celui de la série Friends – au centre d’une relation à deux, délicieusement complexe et ludique. Dans une demi-pénombre, Anaïs Touret et Douwe Dekkers, silhouettes noires et fusionnelles investissent cette scène intime avec une énergie débordante teintée d’humour. Leur course-poursuite amoureuse transforme le fameux divan en un véritable partenaire chorégraphique, qu’ils explorent dans tous les recoins jusqu’à même disparaître dans ce canapé un brin magique. Dans cet espace restreint sur le côté de la scène, qui pénalise malheureusement une partie de la salle, se déploie un éventail complet de situations de couple : soirée cocooning, dispute enflammée, proximité câline et éloignement glacial. Sur les notes exaltantes de L’Arlésienne de Georges Bizet, les deux danseurs alternent entre moments de fougue amoureuse où leurs corps fusionnent littéralement pour ne faire plus qu’un et des séquences de dispute plus aériennes. Ils emploient une gestuelle précise et légère qui emprunte autant à la danse contemporaine qu’au théâtre de boulevard. Comme chez Mats Ek, Samantha Lynch nous rappelle avec brio que la danse peut surgir des situations les plus quotidiennes pour toucher l’universel. Difficile de ne pas reconnaître dans cette chorégraphie domestique les innombrables moments de tendresse et de petits drames qui se jouent chaque soir sur notre propre canapé.

Mud of sorrow : fusion corporelle en quête d’âme
Dans son nouveau duo Mud of Sorrow, alliant danse classique indienne et contemporaine, Akram Khan revisite la partition de l’une de ses pièces phares, Sacred Monsters, pour explorer nos liens avec l’invisible et les êtres disparus. Mais cette fois-ci, la magie opère moins. Sur une chanson folklorique corse, Aishwarya Raut et Claudio Cangialosi déploient des gestes d’une lenteur méticuleuse sous un halo de lumière. Leurs corps s’entrelacent dans des poses de sculptures vivantes – forcément on pense à la déesse Shiva et ses innombrables bras. Mais voilà, la dimension hypnotique avec tous ses membres qui ondulent semble prendre le dessus sur l’émotion. Et à force de vouloir nous plonger dans cette transe contemplative, Khan finit par nous perdre en route.
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Into the Hairy : un couple qui se rebelle
Dans cette nouvelle version d’Into the Hairy, Sharon Eyal nous plonge dans un univers underground digne d’une boîte berlinoise où les codes de la danse classique et du genre volent joyeusement en éclats. Version condensée pour deux danseurs masculins d’une pièce initialement conçue pour sept interprètes, cette œuvre fascine autant qu’elle déroute. Johnny McMillan et Juan Gil, torse nus et moulés dans des collants noirs, s’avancent sur demi-pointes comme des créatures inquiétantes et inquiètes – marque de fabrique d’Eyal. Ce qui surprend d’emblée, c’est comment la chorégraphe israélienne tire parti de ce duo masculin – le seul de cette soirée « Dialogues II » – pour revisiter avec une irrévérence jubilatoire le répertoire classique, le poussant jusqu’à ses limites pour en extraire une danse quasi-primitive. La gestuelle classique passe ainsi à la moulinette électronique de Koreless, fracassant tout l’imaginaire romantique attendu dans une danse de couple. Eyal, formée à la « gaga danse » de Naharin, jongle alors habilement entre rigueur académique et gestuelle instinctive, créant de saisissants contrastes dans les pas de deux.
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