CONCERT – Khatia Buniatishvili a pris encore une fois d’assaut la scène de la Philharmonie de Paris avec Robert Schumann, Brahms, Chopin, puis Prokofiev. Un récital félin où affleurent quelques bons coups de griffes…
Elle entame par la Fantaisie de R. Schumann op. 17, et immédiatement son jeu séduit par la délicatesse du doigté, presque invisible sur les touches. Son corps reste presque immobile, comme une féline qui attend son moment. Le premier mouvement, presque aérien, tout en douceur, plonge l’auditoire dans une atmosphère intime où chaque pianissimo s’étire jusqu’au silence et, disons-le, une certaine monotonie. Le tempo choisi, souvent lent, étouffe ici la tension dramatique.
Brahms ronronne
Elle emporte les couleurs installées avec R. Schumann chez Brahms (Intermezzo op.117 et op.118) mais la structure du morceau, par la lenteur choisie, se trouve démembrée. Sa lecture, trop linéaire, manque de l’élan nécessaire pour exprimer toute la richesse du morceau. Il est vrai que Brahms dit à propos de ces Klavierstücke que « même un seul auditeur est de trop », mais qui dit intimité dit palette d’émotions et de couleurs d’autant plus riche : de la robustesse, de l’intensité ! L’explosion attendue dans certains moments de la partition se fait trop discrète.
Chopin retombe sur ses pattes
Au fur et à mesure que le programme se dévoile, la pianiste a l’air de prendre plus de place : Chopin, plus dynamique, est plus convaincant. Le Scherzo n°2 voit Buniatishvili construire son discours par étapes, avec une intensité croissante, grâce notamment à ce fameux appel de triolets, lancé, vif et nerveux. Bien que les climax ne soient pas totalement atteints, la pianiste, désormais acclamée par le public, termine le morceau sous des applaudissements enthousiastes.
Prokofiev hérisse
Le vrai tournant du récital survient avec Prokofiev et son prélude méditatif : Song of the Fisherman, de la compositrice Sofia Gubaïdulina. Enfin, la lionne se met en chasse ; le contraste est saisissant. La force brute de Prokofiev éclipse le reste du programme et l’énergie qui en découle est palpable. On a enfin l’explosion de liberté, de technicité et de prise de risque qu’on attendait tant. Les attaques puissantes, la technique éclatante et le jeu sans retenue montrent enfin la vraie force de Buniatishvili !
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Avant de quitter la scène, un bouquet offert par une petite fille en main, la pianiste revient pour deux bis (Ständchen de Schubert et le Rhapsodie Hongroise n°2 de Liszt). Si la salle reste satisfaite, l’impression générale reste mi-figue, mi-raisin. Si les choix d’interprétation de Buniatishvili, bien qu’empreints de finesse, manquent parfois d’audace et d’émotion brute, la virtuosité est bien là. Et sur le velours du divan, on distingue encore quelques bons coups de griffes.
Demandez le Programme !
- R. Schumann – Fantaisie op.17
- J. Brahms – Rhapsodie n°2, op.79 ; Intermezzo op. 117 n°1 et 2 ; Intermezzo op. 118 n°2
- F. Chopin – Scherzo n°2 op.31
- S. Gubaidulina – Song of the fisherman
- S. Prokofiev – Sonate pour piano n° 7, op.83

