AccueilCritiquesAu Théâtre des Champs-Elysées, un Eugène Onéguine étriqué

Au Théâtre des Champs-Elysées, un Eugène Onéguine étriqué

COMPTE-RENDU – Avec cette production d’Eugène Onéguine signée Stéphane Braunschweig, se pose une nouvelle fois la question de la pertinence de faire appel à des metteurs en scène prestigieux venus du monde du théâtre qui ne semblent pas totalement saisir les enjeux spécifiques de l’art lyrique.

D’un sommet de la littérature russe, Eugène Onéguine, roman en vers du poète Alexandre Pouchkine, Piotr Ilitch Tchaïkovski a tiré un monument de l’art lyrique russe, un grand opéra romantique dans lequel le compositeur russe a su imprimer sa sensibilité propre.

Alors que le roman de Pouchkine dresse une satire sociale de la société de son temps, le compositeur s’est, lui, davantage attaché à peindre un portrait des tourments intérieurs des personnages. Et là où l’ouvrage était centré, de façon presque autobiographique, autour de la figure du dandy blasé et cynique Onéguine, l’opéra de Tchaïkovski se concentre sur la figure rêveuse, noble et innocente de la jeune provinciale Tatiana.

Gelena Gaskarova (Tatiana) – Alisa Kolosova (Olga) – Jean Francois Borras (Vladimir Lenski) – Jean-Sebastien Bou (Eugene Oneguine) – © Vincent Pontet
Une mise en scène dépouillée et étouffante

Dans sa mise en scène très dépouillée pour le Théâtre des Champs-Elysées, Stéphane Braunschweig restitue avec fidélité l’atmosphère intimiste du livret ainsi que l’enfermement social et psychologique des personnages.

Non sans rappeler la mise en scène de Dmitri Tcherniakov en 2008, Braunschweig enferme les protagonistes entre quatre murs : d’abord dans un jardin au gazon vert éclatant entouré de panneaux noirs, dans la maison provinciale des Larine, puis dans le palais luxueux du prince Grémine.

Mais à la place de grandes tablées imaginées par Tcherniakov, le metteur en scène français utilise des rangées de sièges, qu’il dispose soit en cercle, soit en rectangle, pour mieux souligner les contraintes sociales de la société russe du XIXe siècle. Enfin, il choisit comme “fil conducteur” de sa scénographie de faire sortir à trois reprises une boîte représentant la chambre de petite fille de Tatiana. Mais, au lieu de permettre l’expression des tourments intérieurs, ce dispositif emprisonne les personnages dans un carcan peu propice au déploiement du lyrisme.

Gelena Gaskarova (Tatiana) . © Vincent Pontet
Entre rêve et réalité

Quant à la “dualité entre rêve et réalité”, présente à travers tout l’opéra, Braunschweig cherche à la traduire par une série de “décalages de réalités et de temporalités dans les costumes”. Ainsi alors que les aristocrates provinciaux représentés dans les deux premiers actes sont habillés en costumes de l’époque de Pouchkine, les paysannes et paysans sont eux habillés en costumes inspirés de l’Union soviétique des années 1930.

Le troisième acte, situé quelques années après dans le livret, nous fait basculer dans notre monde contemporain, sauf pour Onéguine qui traîne son spleen “dans un costume fin XIXe, post-baudelairien”, incapable d’évoluer. Il n’est pas sûr que ces décalages dans la temporalité des costumes soient totalement lisibles pour les spectateurs, mais surtout on se demande bien l’utilité narrative de ces décalages maladroits dans la temporalité des costumes.

Eugène Onéguine – Théâtre des Champs-Elysées
Un spectacle froid et prosaïque

Au final, si la mise en scène de Braunschweig n’est pas désagréable à regarder et n’a rien de choquant ou disruptif, elle s’enferme dans une forme de conformisme sage assez prosaïque. Elle souffre d’un manque de poésie, qui se retrouve aussi dans la direction précise mais trop métronomique de la cheffe d’orchestre Karina Canellakis à la tête de Orchestre National de France.

Si la cheffe américaine porte une attention remarquable à la transparence, et met en avant les contre-chants des bois, qu’on entend comme rarement, sa lecture de ce sommet du romantisme russe est bien trop froide et elle n’arrive pas à enflammer la fosse.

Gelena Gaskarova (Tatiana) – Jean-Sebastien Bou (Eugene Oneguine). © Vincent Pontet
Une distribution franco-russe de qualité

Sur scène, les grands gagnants de la soirée sont l’Onéguine hautain, élégant et indolent de Jean-Sebastien Bou, qui séduit par le velours de son timbre et sa présence charismatique, le Lenski à fleur de peau de Jean-François Borras, dont le timbre lumineux et l’interprétation fiévreuse émeut profondément. Aussi, l’Olga somptueuse et rayonnante de la mezzo-soprano russe Alisa Kolosova, et la basse noble et émouvante de Jean Teitgen en Prince Grémine, qui nous avait déjà séduit il y a un mois dans cette même salle.

Habituée du rôle de Tatiana, la soprano Gelena Gaskarova ne semblait pas totalement à l’aise vocalement et en retrait, peu aidée par une mise en scène qui ne sait pas quoi faire du personnage central de l’opéra.

© Vincent Pontet
Eugène Onéguine, Piotr Ilitch Tchaïkovski. Karina Canellakis (direction); Stéphane Braunschweig (mise en scène). Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 19 novembre.
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1 COMMENTAIRE

  1. Bien d’accord, le dépouillement de brauschweig n’est pas idéal à l’opéra.
    et merci pour cette orthographe charmante « met en avant les contre-champs (…) des bois » !

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