AccueilÀ l'écranUn Requiem de Fauré ressourcé à l'Auditorium de la Seine musicale

Un Requiem de Fauré ressourcé à l’Auditorium de la Seine musicale

COMPTE-RENDU – Quand l’association des images de Mat Collishaw au Saint François d’Assise de Gounod et au Requiem de Fauré, par la cheffe d’orchestre Laurence Equilbey, régénère la perception de ces oeuvres et en rappelle leurs fondamentaux.

Une démarche pionnière

Il y a 30 ans, la cheffe d’orchestre Laurence Équilbey créait le choeur Accentus, installant un avant et un après dans le paysage choral et musical français. Depuis plus de 10 ans elle est également à la tête d’Insula Orchestra, orchestre sur instruments d’époque, en résidence à l’Auditorium de la Seine musicale (Hauts-de-Seine). Citée par Cate Blanchett, dès le début du film Tár, comme femme cheffe d’orchestre pionnière, elle n’a pas attendu les honneurs pour, inlassablement, questionner la recherche esthétique et l’appréhension des œuvres musicales. Cette quête passe notamment par la confrontation entre écritures scéniques innovantes et oeuvres du répertoire, comme la Création de Haydn mise en scène par la troupe catalane La Fura dels Baus ou encore le Requiem de Mozart chorégraphié par Yoann Bourgeois.

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Toujours animée par l’intention de connecter les oeuvres du répertoire à notre époque, Laurence Équilbey travaille également avec de nombreux vidéastes, comme Mihael Milunović ou encore Anatole Levilain-Clément. Pour la proposition artistique qui s’est donnée les 15 et 16 février à l’Auditorium de la Seine musicale, le vidéaste britannique Mat Collishaw a proposé un film à l’équipe d’Insula Orchestra, en illustration au Requiem de Fauré. Intitulé Sky Burial (funérailles célestes), il retrace notamment un rituel funéraire tibétain, qui voit les corps des défunts être déposés en altitude, en offrande aux vautours. Pour les croyants de cet endroit du globe, où la terre est trop dure pour y enterrer ses morts, c’est le corps du défunt qui monte au ciel et son âme qui reste sur terre, à l’inverse de notre civilisation.

Insula Orchestra, choeur Accentus – Laurence Équilbey © Julien Benhamou

Se pose alors la question : peut-on prétendre apporter quelque chose à cette œuvre majeure du répertoire savant, pièce de musique sacrée qui plus est, sans être iconoclaste ? Surtout si l’on sait que le film en question traite crûment des derniers instants de vie et d’un rituel de funérailles assez choquant pour nos repères occidentaux. La réponse est oui, si on prend soin, comme Laurence Équilbey, d’introduire le concert par quelques mots au micro, pour prévenir l’assistance du poids émotionnel de certaines images.

Trois fois oui

Oui, également, car le film est très bien réalisé. Une tour délabrée, dans une atmosphère de fin du monde, voit une caméra se glisser par ses différentes fenêtres, afin de capter des familles accompagnants leurs défunts dans leurs derniers instants. Les mourants sont âgés, médicalement assistés, et chaque saynète, correspondant chacune à un morceau du Requiem de Fauré (Introït, Kyrie, Offertoire, Sanctus…), dégage un fort relent -visuel- d’Ehpad et d’unités de soins palliatifs.

Mais ces instants, extrêmement graves, sont filmés avec lenteur, douceur et fluidité. La caméra se fait discrète et respectueuse du chagrin des accompagnants et ce sont entourés, dans un cadre protecteur, que les mourants effectuent leur dernier voyage. En réponse à ces scènes d’intérieur, de larges plans de fleuves et de nature vierge viennent figurer des pleurs salvateurs et la puissance de vie de la terre, supérieure à la mort.

Oui, enfin, car la perception du Requiem de Fauré s’en trouve renouvelée. Ce n’est plus une œuvre figée dans une béatitude académique d’acceptation de la mort. Il retrouve, grâce aux images de Mat Collishaw et à la direction rassemblée et densifiée de Laurence Équilbey, sa force originelle, à savoir que c’est seulement du tragique que peut jaillir l’élévation.

Per aspera ad astra

Et quand le Libera me, point culminant du Requiem, voit les vautours se jeter sur leurs proies, l’alchimie est là : le rythme des images et celui de la musique se confondent, ne font plus qu’un, pour illustrer ce passage obligé, qui nous attend tous, avant une -possible et espérée ?- sérénité éternelle, illustrée par les vautours planant majestueusement.

En préambule à ce moment fort, Insula Orchestra et le choeur Accentus ont donné le Saint François d’Assise de Charles Gounod, un oratorio resserré, d’une vingtaine de minutes, évoquant les derniers instants de la vie d’un des plus grands saints de l’histoire de l’église. Le choix est judicieux. Un film de ciel changeant au gré des émotions musicales, sans doute de Mat Collishaw, vient accompagner le flux musical. Un flux musical riche et boisé, où chaque ligne mélodique s’exprime pleinement et dans lequel les beaux timbres du ténor Amitai Pati, qui figure Saint François, et du chœur Accentus se glissent harmonieusement.

Au-delà même de sa qualité artistique, cette soirée a permis le passage d’un message sociétal fort : celui de la nécessité de ne pas occulter la fin de vie et la mort. De les regarder en face, sans détours ni complications mais avec un maximum de respect et de dignité.

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1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour, pour qui a vécu comme moi les derniers instants de sa compagne à un âge où cela ne devrait pas être le cas, cette vidéo est terrible. De façon très intellectualisée vous évoquez des relents de centre de soins palliatifs. Avez vous vécu les derniers secondes d’un proche pour en parler de façon si détachée ?
    Cette soirée a finalement été une épreuve en dehors de cette œuvre que je connais depuis fort longtemps et que j’aime.
    Cordialement
    Claude.

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