FESTIVAL – « Les records de fréquentation sont largement battus », annonce Pierre Charvet, délégué à la création musicale à Radio France, à l’occasion de ce dernier concert du festival Présences 2024. L’idée reçue selon laquelle il s’agirait surtout, dans la grande soupe minimaliste et répétitive imaginée autour de la figure du compositeur américain Steve Reich d’un « ancrage tonal » est largement contredite : non, non, la « jeune » génération représentée ici nous montre que l’esprit de Steve Reich tel qu’il irrigue la création musicale depuis près d’un demi-siècle en prenant l’avant-garde à rebrousse-poil dépasse de très loin la seule ambition de revenir à l’accord parfait de trois sons.
« Soyez libres et vivez votre vie pleinement »
…est l’exhortation adressée par la compositrice américaine Caroline Shaw (née en 1982) aux interprètes (dont la compositrice elle-même au sein des Roomful of teeth) de sa Partita for 8 voices, pièce écrite autour de 2010 par aux quatre parties sobrement intitulées « allemande », « sarabande », « courante », « passacaille ». Le programme de ce dimanche soir met l’accent sur le dialogue avec l’histoire : chez Shaw, les parallélismes des quintes et octaves, pourtant interdits par l’harmonie classique, accrochent notre oreille et nous renvoient à l’époque médiévale — à d’autres moments la complexité contrapuntique évoque les polyphonies de la Renaissance ; les bruits de bouche et échauffements à Luciano Berio, tout comme les incursions dans le domaine de la pop et du chant spirituel, des cultures urbaines et extra-occidentales, l’amplification et la transformation électronique, les passages parlés sans dramaturgie claire, à cela près que tout ce beau monde se donne « rendez-vous sur l’accord parfait ».
Briser le cercle d’Occident
La grande attraction de la soirée, ce sont encore les deux pièces du grand amateur (et pratiquant reconnu) de gamelan balinais Théo Mérigeau (né en 1987), présentées ici en création mondiale. Entre son Xamp, concerto pour deux accordéons et orchestre où Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty font usage des quarts de ton grâce à une collaboration avec le luthier Philippe Imbert – de quoi produire de nombreux frottements et décalages rythmiques tout en faisant usage abondant de la percussion (jusqu’à demander aux instrumentistes de parler dans un tuyau). Après cet essai de « virtuosité collective », la mention spéciale revient à l’orgue de Lucie Doillat dans Hoquetus animalis, « cinq miniatures » où la raréfaction sonore rappelle le Schoenberg pour piano (de la période atonale libre) et le Webern symphonique. Cette création reportée d’un an à cause d’un fusible, dit-on, fuit le tempérament « traditionnel » : le compositeur a exploré avec l’organiste Karol Mossakowski les possibilités d’un jeu sur la pression de l’air afin d’obtenir des effets de timbre et de rythme inattendus en jouant sur les battements de fréquences, les évocations de cris d’animaux et donnant l’impression d’un instrument désaccordé.
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Reich rabâche
Tehillim pour quatre voix de femmes et orchestre, œuvre de 1981, marque le retour de Reich à la pratique cultuelle. Les psaumes sont associés aux influences de la musique africaine et à une technique de short cuts procédant par glissement sans transition d’un plan harmonique à un autre, sans doute inspirée directement de Stravinski (dont les Noces, entre autres, ont largement influencé Théo Mérigeau), à rebours de la tradition européenne du développement et de la variation. Mais au terme de ce festival, Steve Reich en fin de concert nous fait dire que nous connaissons un peu trop bien ce style déjà entendu maintes fois, ressassé et rabâché. Reste que l’interprétation de cette musique demeure un défi, relevé ici avec rigueur et brio par l’Orchestre Philharmonique de Radio France et Lucie Leguay.