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Paris – Haïti – New York : Steve Reich est bien urbain…

FESTIVAL – En deuxième partie de soirée, le samedi 10 février 2024, non plus dans l’auditorium mais au bon vieux studio 104, le festival Présences nous entraînait sur la piste des cultures urbaines et de la « créolisation » du répertoire sous l’influence de Steve Reich, à l’honneur durant cette édition du festival. Le grand artisan de ce concert était Christophe Chassol qui proposait son Paris Noir en création mondiale, après une lecture toute personnelle de Six pianos de Steve Reich et City Life, interprété par l’ensemble Miroirs étendus dirigé par Fiona Monbet.

Dans la marmite new-yorkaise

Dans le métro de New York, vous l’avez peut-être remarqué, certaines indications sont rédigées – discrètement – en créole haïtien. Pour les francophones non informés, la rencontre linguistique est déroutante. Le mot « créole » s’applique aussi bien aux langues et cultures des Noirs qu’aux populations blanches des régions autrefois colonisées. De là, l’idée de « créolisation » pour désigner le métissage des cultures en présence — un processus irréversible selon Édouard Glissant. Nous ne savons pas ce que Steve Reich pense du multilinguisme newyorkais. Toujours est-il qu’à l’image de sa ville natale, le compositeur a enrichi l’héritage occidental, dont il est un descendant en ligne directe, d’influences de la musique africaine, du jazz, du gamelan indonésien ce d’une manière très nord-américaine.

C’est ce qu’évoquent les Six pianos de 1973 (ici dans une version pour piano et électronique), une œuvre à la rigueur presque forcenée, encore antérieure à la veine spirituelle et aux compositions « documentaires » de Reich. Désireux d’écrire un morceau pour tous les pianos d’un magasin de musique, Reich y est allé de son talent à dérouler 14 minutes d’une musique où se tissent et croisent échanges de motifs rythmiques, décalages, déphasages. Christophe Chassol, qui doit avoir un peu l’Amérique dans la peau, a voulu en « réchauffer l’austérité » en en proposant un re-recording, de ses mains que l’on voit en vidéo, en ajoutant des grilles d’accord pop et un échantilloneur : grâce à la technologie, le pianiste français se décuple en direct, sous nos yeux et nos oreilles.

Steve Reich bat le pavé

Nous entendions en première partie de concert City Life (1995). Il s’agit sans doute du Reich que le public plébiscite le plus souvent, new-yorkais jusqu’au fond du clavier, à l’écoute des bruits du monde. S’adressant à un ensemble amplifié, et City Life évoque l’univers urbain par l’usage des claviers échantillonneurs (c’est-à-dire qui diffusent des sons préenregistrés), le traitement des bruits de la rue, sons de klaxons et portières qui claquent, freins et sirènes des bateaux, également reproduits avec les moyens des instruments de l’orchestre classique (une famille d’instruments pour chaque type de sons). On retrouve les voix parlées en speech melody, technique d’écriture chère à Reich, doublées par les différents instruments. L’œuvre en cinq mouvements, obéit à une conception en arche (montée de la tension, puis apaisement).

Slam sur Macadam
 Christophe Chassol © Laurent Bochet

Le fait que le compositeur, claviériste et ici créateur vidéo Christophe Chassol, né en 1976 à Issy-les-Moulineaux, ait eu des parents martiniquais a sans doute orienté ses choix esthétiques. Paris Noir, création mondiale née d’une collaboration avec le guide parisien Kévi Donat, recentre le propos de ce concert urbain sur la thématique de la négritude, en hommage à ceux qui ont précédé Christophe Chassol et Kévi Donat dans l’affirmation culturelle des Noirs dans la capitale française et sa région. Le texte de cette composition, qui se sert largement des ressources de la vidéo (on déambule dans les rues de Paris en compagnie de Kévi Donat), rend hommage à des auteurs noirs américains installés à Paris et s’inspire en cela très fortement des meilleures pièces « documentaires » de Steve Reich. On retrouve ici le modèle des Different Trains (1988), son travail sur la mélodie parlée, dans lequel une sorte de recitativo parlando rejoint certains types de déclamation urbaines (le slam) et sans doute aussi une forme de créolité (l’accentuation du français selon les canons musicaux de Steve Reich, si elle n’est pas très naturelle pour nos oreilles standardisées, nous entraîne vers le renouveau urbain désiré par Chassol et Donat).

À lire également : PRÉSENCES (re)donne le ton !
Ambiance block party au 104

Cette technique fonctionne très bien quand il s’agit de citer ce « hé là le nègre – le nègre t’emmerde » de Césaire et d’insister sur la brutalité d’une parole discriminatoire en la répétant tout en appelant la société blanche à un changement de paradigme. Chassol signe ici une page intéressante de mise en situation musicale où l’incursion de la biographie et du discours de soi, l’interpolation des genres font fi de l’art pour l’art et de la musique autoréférentielle et accordent une place au questionnement politique et social. Un autre rapport au concert est instauré, mais aussi un rapport au corps inhabituel dans ces lieux institutionnels, par la présence scénique de Chassol, par la participation du public, lequel applaudissait toutes les trois minutes pour manifester vigoureusement son approbation. On peut regretter que ce panorama, somme toute anecdotique, des cultures urbaines s’en tienne au périmètre délimité par l’avenue Kennedy et le Quartier Latin, et que la vigueur de l’inspiration musicale s’estompe parfois dans les intentions didactiques.

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