CINEMA – S’évader pour mieux revenir chez soi. C’était la proposition que faisaient les cinémas Pathé en diffusant, en live, sur grand écran, La Rondine du Metropolitan Opera House de New York ce samedi 20 avril : au programme, un séjour… en France, avec innamoramento dans la capitale et escapade sur la Riviera.
Ah, Paris ! Ses monuments, ses parcs, ses musées, ses bars, ses cafés… Et puis la RATP, les passants qui grommellent, la saleté… Nous aimons détester notre capitale, et avec les JO, on sent que ça va pas s’arranger… Pourtant, le monde nous a toujours envié notre ville-lumières, cité des sciences et des arts, du raffinement et de l’élégance.
Boulevard de l’Opéra
Puccini ne dérogeait pas à la règle en créant en 1917 son opéra La Rondine. Le sujet du livret, que l’on doit à Giuseppe Adami, est des plus classiques : le Paris des mondanités, des dépenses, des cafés de boulevard – avec un dernier acte qui fait exception et se déroule sur la Côté d’Azur. Magda (Angel Blue, soprane au timbre éclatant et au jeu sensible) et Ruggero (Jonathan Tetelman, ne vous laissez pas surprendre par les envolées puissantes de ce ténor) sont deux amants qui ne pourront se marier car la première a caché au deuxième qu’elle était auparavant entretenue par le riche Rambaldo (ici, Alfred Walker).
Tout pourrait tenir en ces quelques mots. Mais ce résumé ne rendrait pas justice aux personnages. Magda fantasme un maigre souvenir d’amourette de jeunesse afin de détourner le regard de cette vie parisienne dont elle n’arrive à s’extraire. Ruggero, lui, affiche l’idéalisme naïf de ceux qui vivent pour tomber amoureux. Lisette, interprétée par une Emily Pogorelc (soprane) aux accents pétillants, est une servante tordante qui rappelle ce que Sartre dit du garçon de café. A ses côtés, le poète-parasite Prunier (Bekhzod Davronov, ténor aux intonations rondes et aux mimiques impayables), son amant.
Puccini boulevard d’un italien
Nous ne vous l’avons pas dit, mais avec cette version signée Nicolas Joël, l’action se situe dans les années 1920. Côté scène, la mode était au style Art Déco, et il n’y avait pas à dire, c’était nickel. Le premier et le dernier actes proposaient des tableaux très riches. Côté costumes, c’était plus inégal. Certaines tenues étaient parfaites, d’autres frôlaient le déguisement. Le dernier acte remportera la palme des meilleures tenues. Pour la mise en scène générale, ce fut sans doute le deuxième acte qui était le plus intense : on se taquine, on discute, on s’agite, on danse dans un bistrot parisien typique (le Bal Bullier), avec un resserrement de l’intrigue appréciable. Bref, du beau spectacle.
Mais revenons quand même sur cette transposition historique. Pour rappel, l’opéra de Puccini se déroule à la base pendant le Second Empire. Et partant de là, choisir les Années Folles, c’est à la fois très logique et un peu perturbant. Logique parce qu’après tout Paris reste Paris, et à toutes les époques, on y aura vécu d’histoires sentimentales et de dépenses astronomiques (comme chacun sait). Mais cette vision de la France des années 20 produisait quand même par moments un effet étrange, une sorte d’hybridation des mondanités du Aurélien d’Aragon et du Gatsby de Fitzgerald (ça marche aussi avec Proust et Hemingway).
Bon plan ou pas ?
Le seul gros problème de la soirée tenait surtout aux spécificités de la diffusion en cinéma. Le MET n’aime pas les silences : avant la séance, on a droit à des pubs et même un trailer de la pièce qu’on s’apprête à voir (si si…) et entre les actes, on s’empresse de faire parler divers artistes devant un micro.
On connaissait la recette, puisque le ROH de Londres fonctionne d’une manière similaire. Sauf que les silences… c’est bien aussi ! C’est même capital pour apprécier ce qu’on regarde ; et puis, franchement, à quoi ça sert de parler pendant plusieurs minutes pour dire « It’s a sweet love story… » ? Flûte ! A la limite, passer derrière le rideau et voir les régisseurs changer les décors monumentaux ou les personnages s’échauffer, là d’accord.
Autre paramètre lié à la captation : les prises de vue. Beaucoup de plans rapprochés, voire de gros plans. Cela passait, car les chanteuses et chanteurs avaient de belles expressions ; mais l’opéra n’est peut-être pas le genre où l’on veut voir en gros plan ses artistes… davantage de plans larges n’aurait pas fait de mal, surtout avec une scène pareille !
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Au ballet, en revanche, les captations live prennent tout leur sens !
Vous pourriez nous rétorquer qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : soit on va à l’opéra, soit on va au cinéma.
Et vous n’auriez pas tout à fait tort.