AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - LyriqueIl Piccolo Marat à Nantes : et la lumière fut !

Il Piccolo Marat à Nantes : et la lumière fut !

OPÉRA – Ce n’est pas une création française, non ! Mascagni lui-même a dirigé son opéra à Paris en 1927, mais la grande majorité du public voyait tout de même ce Piccolo Marat pour la première fois. L’occasion de mettre en lumière ce compositeur, d’apporter un nouvel éclairage sur son œuvre, de valoriser une création lumières et de placer de nouveaux artistes sous les projecteurs.

Mascagni, qui ?

Lorsqu’il crée Il Piccolo Marat le 2 mai 1921, Mascagni a 58 ans et est déjà proche de la fin de sa carrière (son dernier opéra, Nerone, sera créé en 1935). L’Italie s’apprête alors à s’offrir quelques jours plus tard à Mussolini, que le compositeur soutiendra. Si son Cavalliera Rusticana, composé trois décennies plus tôt, est alors déjà joué et célébré partout dans le monde, le reste de sa production tombera dans un oubli relatif, entaché de cette faute politique et placé dans l’ombre de Puccini. Son étiquette de compositeur vériste lui aura collé à la peau, malgré son éclectisme. Le Directeur de la maison nantaise, Alain Surrans, le souligne pourtant dans le programme de salle (et dans l’interview donnée à Ôlyrix) : le livret est plutôt symbolique, avec ces personnages désignés plutôt que nommés : l’Ogre, le Petit Marat, le Charpentier, etc. La musique regorge quant à elle de références et de croisements de styles. Certaines pages sont figuratives, d’autres absolument mélodiques, quelques-unes semblent contemporaines. Les grands chœurs de la scène d’entrée pourraient presque rappeler Berlioz, on croit parfois entendre Puccini, et on en vient même à s’étonner de reconnaître Mascagni lui-même dans certains passages. 

© Garance Wester
La face sombre de la Révolution

Si Angers Nantes Opera programme ce titre, c’est en partie aussi parce que le livret tire son intrigue d’un épisode de la Terreur qui prit place à Nantes : si la ville n’est pas citée dans l’œuvre, la Prison de l’Entrepôt, où étaient entassés les prisonniers politiques, y figure en bonne place et permet d’identifier la ville. Entre décembre 1793 et février 1794, près de 9.000 prisonniers (hommes, femmes, enfants) sont embarqués sur des bateaux puis coulés, pour désengorger les prisons… L’instigateur de ces massacres, Jean-Baptiste Carrier, est ici présenté sous la figure sanguinaire et corrompue de l’Ogre, fidèle à Robespierre. Le Petit Marat est ici le fils de la Princesse de Fleury qui se fait passer pour un révolutionnaire afin de sauver sa mère…, et par la même occasion, son amante Mariella et le Charpentier, concepteur repenti des bateaux utilisés pour les noyades. Cet épisode des plus noirs de l’histoire de France n’en reste pas moins extrêmement moderne par ses thèmes abordés. La noirceur du fonds laisse place à une fin plus lumineuse : à l’inverse de Tosca, le héro que l’on croit mourant se relève et fuit vers la liberté avec les siens. 

Une mise en espace : la bonne idée !

L’œuvre est représentée dans une mise en espace inspirée de la production montée par Sarah Schinasi à Livourne (ville natale de Mascagni). L’orchestre, qui ne tient pas dans la fosse (l’œuvre requiert près de 20 musiciens de plus que sa capacité maximale) est installé sur scène. Un proscenium accueille l’action, jouée par les interprètes en costumes et aidés de quelques accessoires assez simples (tables, chaises, caisses, panier, etc.). Cela permet bien évidemment de réduire les coûts de la production, dans un contexte budgétaire toujours serré. Sans décor, ce sont les lumières qui habillent la scène et commentent l’action (comme cette couleur rouge finale qui évoque à la fois le sang, la révolution et l’amour des amants qui s’enfuient vers la liberté). Enfin, ultime avantage d’une mise en espace dans ce contexte : cela permet de se concentrer sur l’œuvre à découvrir, sans biais ni couche de lecture supplémentaire, ce qui est finalement un bon moyen de rendre justice à Mascagni. 

© Garance Wester
Distribution : la revanche italienne

Pour représenter cette œuvre, Alain Surrans a choisi de reconduire l’ensemble de la distribution présente à Livourne, à l’exception de la Princesse ici chanté par Sylvia Kevorkian (à la voix au lyrisme rougeoyant). S’il eu paru aisé de trouver localement des interprètes plus qualifiés pour chanter les trois sbires de l’Ogre (l’Espion, le Voleur et le Tigre), dont les qualités vocales apparaissent très en-dessous de leurs collègues, quelques voix se démarquent et méritent l’attention des lyricophiles français :

  • Stavros Mantis en Charpentier dispose de fondations solides et d’une voix charpentée, au timbre à l’écorce rugueuse. 
  • Rachele Barchi apporte à Mariella sa fraicheur de jeune première, au timbre d’épais velouté et au vibrato rond. Ses aigus sont purs et vibrants. 
  • Samuele Simoncini sait jouer double-voix comme le Petit Marat joue double-jeu : une voix dure et glacée lorsqu’il se montre méchant, et une voix plus souple et claire pour jouer l’amoureux. La difficulté de la partition le pousse parfois dans ses retranchements, notamment dans des aigus atteints aux forceps qui paraissent plus nasales. 
  • Andrea Silvestrelli colle à l’Ogre qu’il incarne par sa stature, sa voix immense et râblée aux graves brillants, mais parfois déséquilibrée par son propre poids. 
  • Matteo Lorenzo Petrapiana en Soldat dispose d’une voix couverte, sombre et solide. 
© Garance Wester

L’Orchestre et le Chœur sont bien les phalanges locales. Elles sont dirigées par Mario Manicagli. Placé sur la scène, l’Orchestre National des Pays de la Loire est lui aussi sorti de l’obscurité de la fosse pour prendre la lumière et jouer avec finesse et enthousiasme les magnifiques pages orchestrales composées par Mascagni. Le Chœur d’Angers Nantes Opéra se montre puissant et brillant dans la scène de foule en colère dans laquelle les lignes se croisent et se confrontent en de grands éclats. Cinq choristes sortent du groupe pour interpréter avec de belles voix projetées de petits rôles solistes.

À lire également : Commune de Paris : la musique en exil

Une fois la dernière note jouée, les spectateurs adressent un long remerciement à l’ensemble des interprètes pour cette œuvre remise sous le feu des projecteurs : la lumière fut, et le public vit que c’était bon. Il y eut un soir. Il y eut un matin. C’était la première pierre d’un long travail pour faire redécouvrir cette œuvre. 

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